France Gall - Plus haut que moi : et si c’était sa plus belle Face B?
- L'Agent Secret des Chansons
- 18 mai
- 3 min de lecture

1973. Dix ans après ses débuts, France Gall a vingt-six ans, une carrière en dents de scie et un 45-tours à son actif pour toute l'année. C’est peu. Dans le creux de cette vague, se cache un joyau méconnu : Plus haut que moi, face B de cet unique disque oublié, mais pas par tout le monde.
Ce disque, c’est le troisième (et dernier) de son aventure chez Pathé. En face A, Par plaisir — une jolie chanson sur la liberté d’action, bien plus subtile qu’elle n’en a l’air. Et en face B, cette petite bombe douce : Plus haut que moi, adaptation d’un titre brésilien signé Vinícius de Moraes et Toquinho, Maria vai com as outras. Oui, encore un morceau venu du soleil sud-américain, après Zozoi, Y a du soleil à vendre, A Banda... France Gall, à défaut d’être en haut des podiums, suit la bossa comme d'autres suivent les étoiles.
Il faut dire qu’elle les choisit bien, ces chansons brésiliennes, souvent sous-estimées. Comme si France Gall avait compris avant tout le monde que dans ce rythme chaloupé se cachait un antidote à l'ennui occidental.
Plus haut que moi, donc. Le texte d’Yvan Dessca et Jean-Michel Rivat présente un homme qui saute les murs gris, qui chante plus fort que la raison, qui vit à contre-courant. Face à lui, France coincée entre les lois, les banques et les chiffres. Elle n’attend pas un prince charmant, mais un passeur. Un homme libre qui pourrait l'arracher à son quotidien trop ordonné. Emporte-moi, chante-t-elle. Mais ce n’est pas une fuite amoureuse, c’est une quête de sens. Qu’elle trouvera bientôt, soit dit en passant...
Musicalement, Roland Vincent soigne le tout. C’est sobre, presque feutré. Pas de flonflons ni de violons hystériques. Une mélodie en apesanteur, quelques accords doux-amers, un souffle de saudade. France Gall chante avec un vibrato nouveau, qu’elle qualifiera elle-même des années plus tard de « à la Véronique Sanson ».
Et pourtant, personne n’écoute. Par plaisir passe presque inaperçu, et la face B encore plus. France Gall la chante à la télévision dans une robe à paillettes, sourire distant. La bande-son de l'été ? Pas vraiment. Le public ne suit plus. Et dans la maison de disques, on commence à ranger les guitares.
Avant Par plaisir / Plus haut que moi, France Gall avait déjà tenté de rebrancher la prise chez Pathé et avait rappelé Serge Gainsbourg pour un single, qui avait tout pour électriser les platines : Frankenstein en face A, et Les Petits Ballons en face B. Gainsbourg à la plume, Jean-Claude Vannier à l’orchestration, le duo responsable de Melody Nelson, rien de moins. Mais le miracle n’a pas eu lieu. Côté promo, c’est le désert. Le morceau Frankenstein revisitait le mythe du savant fou, façon cartoon pop au ton cynique et désabusé. Quant aux Petits Ballons, c’était une métaphore sexuelle à peine déguisée, où les « petits ballons » se gonflent au gré des soupirs — Gainsbourg ne s’est pas gêné. Et France Gall, après l’humiliation publique des Sucettes quelques années plus tôt, admet qu’elle savait exactement ce qu’elle chantait cette fois. C’est du France Gall 2.0, plus audacieuse, plus lucide. Malheureusement, le disque passe complètement inaperçu, étouffé dans l’indifférence générale.
S’ensuit un second essai, 5 minutes d’amour, signé Rivat-Thomas (le tandem de Bébé Requin), qui sonne comme du Claude François. Le titre est bien produit, mais sans saveur particulière. France Gall s’y ennuie poliment. Enfin, un quatrième 45 tours, C’est curieux de vieillir, était prévu mais ne sortira jamais, probablement rangé d’un geste discret dans les archives dès que Michel Berger apparaît dans l’équation.
Autant dire que chez Pathé, France Gall aura tout tenté : l’érotisme arty, la variété calibrée, la confidence mélancolique... en trouvant rarement la bonne fréquence. Un album compilation de cette période sortira en 1976, pour vraisemblablement surfer sur sa nouvelle notoriété.
Cependant dans ce chaos discographique, il y a des pierres précieuses. Plus haut que moi en est une (à ne pas confondre avec la chanson Plus haut, écrite plus tard par Berger). Presque un tube, presque une renaissance. Personnellement, si cette chanson me touche autant, c’est peut-être parce qu’elle a failli m’échapper.
Adolescent, je l’avais entendue par hasard. Pas achetée. Et puis elle est devenue une obsession. J’ai mis des années, dans les années 80, à retrouver le disque à prix humain. Il a tourné en boucle pendant tout un été. Peut-être pas celui de France Gall, mais le mien, assurément.
En 1973, ce que cherchait France Gall, c’était une façon d’être libre sans faire semblant. Berger ensuite l’a aidée à trouver cette voix-là. Mais Plus haut que moi montre qu’elle en avait déjà les mots. Et la musique. Il ne manquait qu’un signe. Un signe de lui.
Comments