Zozoï : le bijou tropical oublié de France Gall
- L'Agent Secret des Chansons
- 6 mai
- 3 min de lecture

Nous sommes à São Paulo, un 28 mars 1970, à une heure où la plupart des Français dorment paisiblement. Mais pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, une étincelle musicale est sur le point d’éclater. Aux manettes : César Camargo Mariano, pianiste virtuose, arrangeur et figure essentielle du jazz brésilien. Ce soir-là, avec ses musiciens, il enregistre un instrumental incandescent. Une samba en fusion, comme un carnaval intime. Et ce tourbillon sonore porte un nom étrange : Zozoï.
Quelques jours plus tard, dans un studio parisien, pour son 4ème single dans sa nouvelle maison de disques, France Gall ajoute sa voix à cette déferlante de rythmes. Résultat : un 45 tours qui ne ressemble à rien de ce qu’elle avait chanté jusque-là. Et c’est précisément ce qui fait tout son charme.
Zozoï, une chanson qui ne veut rien dire… et c’est ce qui la rend inoubliable
Dès les premières secondes, on est pris dans un tourbillon. La batterie claque, les cuivres chauffent, les chœurs masculins, signés par la chorale “Les Éléphants” du chef Jean-Claude Petit (avec Norbert Saada, José Bartel, Jean Géral et Raymond Vastano), démarrent en douceur . Et au milieu de tout ça, France Gall qui chante, légère, mutine, presque insolente : “Zozoï, ça ne veut rien dire… Zozoï, ça m’amuse, ça me fait rire”.
Et c’est vrai : ça ne veut rien dire. Zozoï, c’est une liberté. Une invitation à rire, danser, hurler dans la rue. Derrière cette rengaine aux allures de comptine psychédélique se cache pourtant une sophistication musicale.
Une production haute en couleur
Le projet en lui-même tient presque de l’aventure. La base musicale est enregistrée au Brésil, les chœurs en France, puis France Gall ajoute sa voix par-dessus. Un assemblage qui fonctionne à merveille. À la direction musicale, Jean-Claude Petit, alors chef d’orchestre des concerts de Julien Clerc (et confident discret de ce dernier, récemment tombé amoureux de France Gall), orchestre le tout avec finesse.
Un échec commercial, une revanche critique
À l’époque, pourtant, personne ne comprend rien à ce 45 tours. Ni les programmateurs radio, ni les disquaires, ni même peut-être les fans de France Gall. À la télévision, elle tente d’expliquer à une présentatrice médusée : “Zozoï, ça ne veut rien dire… c’est une chanson folle, amusante, d’été.” Mais rien n’y fait, le disque tombe dans l’oubli.
Ce n’est que trente ans plus tard, en 2003, à l’heure où les collectionneurs s’arrachent les raretés, que le label anglais Jazzman réédite le morceau en vinyle. La face B ? Un autre joyau brésilien obscur : Tema de Soninha, du groupe IRP-3. À partir de là, le disque devient culte. Les DJ’s s’en emparent. Et le disque original dépasse allègrement les 75 euros sur le marché de la galette rare.
Nelson Angelo, le poète discret derrière la musique
Mais qui a écrit cette étrange mélodie ? Un certain Nelson Angelo, né en 1949 à Belo Horizonte. Auteur-compositeur discret, il préfère l’expérimentation aux tubes radiophoniques. Son œuvre navigue entre jazz, folk et musique afro-brésilienne, toujours avec ce souci de sortir des sentiers battus. Pour Zozoï, il puise dans le rythme pur, les percussions tribales. C’est à la base une composition pour la chanteuse italienne Romina Power, avant d’être revisitée pour France Gall. Comme quoi, parfois, les chemins les plus sinueux mènent aux plus belles plages.
Une face B pleine de charme
Sur la face B du disque original, France Gall change complètement de registre. Merry Merry O! est une ballade douce sur fond de guitares sages. On y retrouve sa voix cristalline, et l’influence brésilienne reste là, en filigrane.
Et pour les plus curieux, sachez qu’une version italienne du disque existe, avec une adaptation de Zozoï et un autre titre inédit : Bugie da elefanti, une chanson d’amour et de jalousie sur fond de cirque, qu’elle adaptera ensuite en français.
Zozoï, joyau inclassable et intemporel
Aujourd’hui, Zozoï est reconnu pour ce qu’il est : un morceau franco-brésilien qui fusionne les styles, les continents, les époques. Un coup de soleil en 45 tours. Et surtout, un témoignage d’un moment précis dans la carrière de France Gall : celui où, un peu perdue chez son label La Compagnie, elle essaie, ose sortir des sentier battus pour trouver son style. Et décidément, après le jazz, la musique brésilienne lui va comme un gant.
Alors non, Zozoï ne veut rien dire. Mais il fait tout sur ce qu’on attend d’une chanson : qu’elle nous emporte, qu’elle nous surprenne, qu’elle nous fasse sourire sans raison.
Et vous, connaissiez-vous Zozoï ?
Comments