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Comment t’en apercevoir : France Gall face au noir et à son miroir

Dernière mise à jour : il y a 9 heures


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Il y a des chansons qui, sur un disque culte, passent entre les mailles du filet. Pas de single, pas de scène. Et pourtant, ce sont celles-là qui, planquées dans un coin du cœur, sont prêtes à ressurgir quand l’époque se met à tourner à l’envers. Comment t’en apercevoir, extrait du premier “vrai” album studio de France Gall, fait partie de cette catégorie. Officiellement une “petite chanson mineure” de 1 minute 45, officieusement un petit bijou qui, cinquante ans plus tard, nous parle plus que jamais.


1975 : France Gall fait sa mue


Nous sommes en 1975. France Gall sort d’une période étrange. La décennie précédente l’a laissée sur le carreau, paumée dans une variété parfois bien léchée, mais sans colonne vertébrale. Elle, pendant ce temps-là, cherchait désespérément son Nord artistique. Elle a beau être une chanteuse populaire, elle ne sait plus très bien ce qu’elle chante, ni pourquoi.


Et puis arrive Michel Berger. Le gars au piano nerveux, à la mélodie en clair-obscur. Ce qu’il voit en elle, ce n’est pas la poupée blonde des magazines. C’est une musicienne, une femme qui veut raconter autre chose. Il lui donne l’année d’avant La déclaration d’amour, puis Mais, aime la, deux singles qui amorcent la nouvelle France. Puis, quelques mois après, ensemble, ils s’enferment dans un studio flambant neuf, le mythique Gang, niché dans une cour pavée du cinquième arrondissement de Paris.


Autour d’eux, des musiciens qui sentent la pop anglo-saxonne, les guitares nerveuses de Claude Engel et Gérard Kawczynski, une basse ronde, et cette batterie d’André Sitbon qui tape juste là où il faut. France, elle, découvre ce que c’est que de “faire un album”. Pas une compilation de 45 tours, non, mais une œuvre pensée comme un tout. Un peu comme si, après douze ans de carrière, elle commençait enfin à chanter pour de vrai.


Une drôle de “première fois”


Sorti début 1976, ce disque s’appelle simplement France Gall. Pas besoin d’en dire plus : c’est un manifeste. Les chansons, toutes signées Berger, forment le premier chapitre d’un duo mythique. On y retrouve La Déclaration d’amour, mais aussi Samba Mambo (le clin d’œil ensoleillé), Comment lui dire (l’autre déclaration, presque disco), Ce soir je ne dors pas (le slow sensible et intemporel) et aussi cette perle discrète : Comment t’en apercevoir.


Pas de guitare héroïque ici, pas de refrain qui s’imprime en trois secondes. Juste une chanson qui s’ouvre doucement, presque timidement, sur un conseil qu’on pourrait coller sur les murs de nos appartements contemporains :

Le monde est là, qui vient, qui va, et qui tourne sans toi…

Mais tu sais, il n’attendra pas un signe de toi.


On imagine France Gall chanter ça à une amie un peu triste, ou à elle-même dans le miroir. A notre époque, difficile de ne pas y voir un avertissement prémonitoire pour la génération enfermée derrière ses écrans. “Donner, c’est mieux que recevoir, essaie un peu pour voir” : on dirait un message envoyé à Instagram, TikTok et leurs cohortes de selfies solitaires.


Une chanson sur la solitude… mais pas celle qu’on croit


Ce qui frappe dans Comment t’en apercevoir, c’est cette bienveillance lucide, très “bergerienne”. Pas de jugement, pas de pathos. France n’y joue pas la donneuse de leçons, juste la passeuse d’énergie. “Tu restes toute seule dans le noir ? Allez, viens dehors, le monde continue à tourner sans toi.”


La chanson fonctionne comme une parenthèse au milieu de l’album. Le piano a cette élégance un peu nerveuse propre à Berger, les cordes y frémissent comme un rideau qu’on entrouvre, et France Gall y pose une voix claire, simple, presque parlée. Pas de vibrato, pas d’esbroufe. Juste une présence.



Et c’est sans doute ça, le secret de cette chanson : elle ne cherche pas à séduire, elle tend la main, murmure un geste d’amitié.

Et en plus Comment t’en apercevoir a aujourd’hui une résonance sidérante. À l’époque, on restait « toute seule dans le noir » sans Wi-Fi ni notifications. En 2025, ne pas sortir est devenu un mode de vie. On scrolle, on like, on se fige.


L’avis de l’Agent Secret


Moi, j’ai toujours eu un faible pour les chansons moins aimées. Celles qu’on saute un peu vite sur un vinyle, persuadé qu’elles ne servent qu’à meubler entre deux tubes. Et puis un jour, on les réécoute, et on comprend qu’elles étaient parfois le cœur battant du disque. Comment t’en apercevoir est de celles-là.


Je l’aime pour sa modestie, pour son ton de grande sœur tranquille, pour son refrain qui ne cherche pas à briller mais à apaiser. Et surtout parce qu’elle semble nous dire, à demi-mot : “Tu peux toujours recommencer. Tu peux toujours sortir du noir.”


Conclusion : un miroir tendu à notre époque


L’album France Gall devient le point de départ d’une nouvelle ère : celle d’une artiste qui sait enfin ce qu’elle veut chanter, et avec qui. “Michel m’a ouverte sur le monde”, confiera-t-elle plus tard. Et justement, Comment t’en apercevoir semble traduire ce moment précis : l’instant où elle rouvre les volets après des années d’égarement.


Comment t’en apercevoir n’a pas eu la carrière qu’elle méritait, malgré quelques apparitions TV. Mais elle reste un moment suspendu dans la discographie de France Gall. Cinquante ans plus tard, on l’écoute comme une petite sœur de Résiste ou Si maman si. Moins flamboyante, mais tout aussi essentielle.

Et si l’on devait résumer son message, il tiendrait en une phrase simple :
 Ouvre les rideaux, le monde est encore là.

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