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“Where Is a Woman to Go?” : l’ultime refuge de Dusty Springfield


Je pourrais commencer cet article de manière solennelle, du genre : “Ce fut le chant du cygne d’une des voix les plus bouleversantes du XXe siècle.” Mais soyons honnêtes : Dusty n’aimait pas les effets de manche. Elle préférait l’autodérision à la solennité, les éclats de rire aux grandes envolées mélodramatiques. Et pourtant, cette chanson-là, elle nous serre le cœur. Mais avec élégance.


Sometimes your friends ain't always available / To pick you up when you're feelin' down.”

Tout est là. Ce sentiment de solitude à nu, sans maquillage, sans enjolivures. Une phrase simple, presque anodine. Et c’est justement cette simplicité qui touche en plein cœur. Dusty a entendu cette ligne, écrite par Jerry Gillespie et K.T. Oslin, et elle a eu ce petit “Ooooh !” qu’on connaît bien. Celui qu’on pousse quand une chanson tombe juste… là où ça fait mal, mais tout en finesse.


Un dernier tour de piste


Where Is a Woman to Go? est le morceau de clôture de A Very Fine Love, le dernier album de Dusty, sorti en juin 1995, quelques années avant sa disparition. Un disque enregistré à Nashville — sans être un album country, attention — et qui aurait dû s’appeler Dusty in Nashville, clin d’œil assumé à Dusty in Memphis. Mais la maison de disques a préféré éviter toute confusion, craignant que le public s’attende à du banjo et des bottes de cow-boy. Dommage, le clin d’œil était bien vu.


Dusty, elle, n’avait jamais pensé avoir une voix “country”. Mais elle aimait les récits que ces chansons portaient. Et dans celle-ci, elle a trouvé un terrain d’expression idéal : une femme, le cœur en morceaux, pousse la porte d’un bar pour pleurer un bon coup, avec un jukebox pour unique confident. Pas d’apitoiement, juste une vérité nue.


Une chanson comme un verre à moitié vide


Le morceau est dépouillé, presque doux-amer. Pas d’esbroufe vocale. Juste une interprétation “facile à chanter”, selon Dusty — mais qui, justement, vous cloue sur place. Pas besoin d’en faire trop quand on sait exactement quoi dire, et comment le dire.


À ses côtés, deux voix précieuses : celle de K.T. Oslin (co-autrice du morceau) et celle de Mary Chapin Carpenter. Dusty voulait des voix “compatibles mais pas identiques”. Des alliées, des complices. Comme autour d’une table, entre amies qui comprennent sans qu’on ait besoin d’expliquer.


Le jukebox des larmes


Ce qui rend cette chanson si émouvante, c’est aussi la sincérité de Dusty. Elle ne joue pas un rôle. C’est elle. Revenue d’une rupture, ou d’un combat dont on ne connaît pas encore les contours (elle apprendra peu après l’enregistrement qu’elle est malade), elle s’accorde une pause dans un bar imaginaire, un peu défraîchi, mais rassurant.


Elle demande au barman de lui rendre un billet de dix dollars en pièces. Pourquoi ? Pour alimenter le jukebox. Pour jouer toutes les chansons tristes. Oui, elle veut pleurer. Pas pour s’effondrer, mais pour aller un peu mieux. Parce que parfois, c’est ça, la solution. Laisser couler. Accepter. Puis respirer.


Une voix, une carrière, une icône


Dusty Springfield, c’est bien plus que cette chanson, évidemment. C’est Son of a Preacher Man, c’est I Only Want to Be with You, c’est Reputation en 1990 avec les Pet Shop Boys qui la remettent sur orbite au cœur des années synthé, c’est Dusty in Memphis, chef-d’œuvre absolu. Mais A Very Fine Love, c’est son dernier souffle musical. Et ce morceau de fin, Where Is a Woman to Go?, c’est un adieu tout en retenue, sans mise en scène. Juste un tabouret de bar, quelques pièces empilées et une peine qu’on apprivoise, une note après l’autre.


Et puis il y a cette dernière ironie douce : Dusty l’a chantée pour la dernière fois à la télévision dans l’émission Later with Jools Holland, entourée d’Alison Moyet et de Sinéad O’Connor. Un trio royal. Elle aurait pu sortir le grand jeu. Mais non. Elle a choisi la justesse, la sobriété.

Le rire au bord des larmes


Ce qui rend Dusty si unique, c’est aussi sa capacité à rire, surtout d’elle-même. Elle qualifiait sa collaboration avec K.T. Oslin de “vrai moment de rigolade”, ponctué de piques envers l’industrie musicale, les stratégies marketing, les shows formatés. K.T. lui aurait même lancé, en entendant la première version du morceau : “Girl, don’t ya ever sing a country song, it'll drive us all out of town.”


C’est ça, Dusty Springfield : une voix, une émotion, mais surtout, une humanité. Elle n’était pas lisse. Elle était Dusty. Elle doutait, riait, s’énervait parfois, chantait souvent. Et jusqu’au bout, elle nous a offert des chansons comme des lettres ouvertes. Tristes, mais sincères.


Alors, où peut aller une femme ?


La réponse de Dusty tient en peu de mots. Dans un bar. Près d’un jukebox. Ou dans une chanson comme celle-ci. Parce qu’il y a des jours où on n’a besoin de rien d’autre qu’un peu de monnaie, quelques accords bien choisis, et la voix d’une femme qui vous murmure : “Moi aussi, parfois, j’ai mal. Et tu sais quoi ? C’est ok.”


Merci Dusty. Où que tu sois, j’espère qu’il y a un jukebox.


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