Just a Little Lovin’ : l’autre miracle de Dusty in Memphis
- L'Agent Secret des Chansons
- 7 mars
- 4 min de lecture

Il y a des chansons qui frappent fort, comme un coup de foudre. Et puis il y a celles qui vous enveloppent doucement, sans prévenir. Just a Little Lovin’ (Early in the Mornin’) fait partie de cette seconde catégorie.
C’est la première piste de l’album Dusty in Memphis, chef-d’œuvre souvent connu pour son éclatant single Son-of-a Preacher Man. Et pourtant, il faut commencer par là, par ce Just a Little Lovin’, pour comprendre cet album.
Pour moi, c’est cette chanson d’ouverture qui contient toute la vérité du disque. C’est même, je crois, ma chanson préférée de l’album — et peut-être de Dusty tout court.
Je l’ai découverte en 1999, à l’occasion de la réédition Deluxe de l’album par Rhino, avec quatorze titres inédits. Dès les premières secondes de Just a Little Lovin’, j’ai senti quelque chose d’intime. Une voix, une ambiance, une promesse.
Face B, mon amour
La chanson était pourtant passée presque inaperçue à sa sortie. À l’automne 1968, elle figure en face B du 45 tours ...Preacher Man. Jerry Wexler, le producteur visionnaire mais stratège, préfère assurer ses arrières : si le titre principal ne prend pas, on pourra toujours miser sur cette autre face. Une stratégie de précaution. Mais le Preacher fonctionne, et Just a Little Lovin’ reste dans l’ombre.
Et pourtant, la chanson est tout sauf un bouche-trou. Écrite par Barry Mann et Cynthia Weil – duo royal de la pop américaine, auteurs entre autres de You’ve Lost That Lovin’ Feelin’ ou On Broadway –, le titre est un petit bijou de délicatesse. Un groove lent, soyeux, presque nonchalant. La promesse simple : un peu d’amour au réveil, et la journée commence mieux…
Memphis, baby
L’album Dusty in Memphis est né dans le temple soul du American Sound Studio, à Memphis donc. Imaginez l’ambiance : des pointures comme Reggie Young à la guitare, Bobby Emmons à l’orgue, et les Sweet Inspirations (avec la mère de Whitney Houston au chœur). À la production, Jerry Wexler, Arif Mardin et Tom Dowd,.
Mais Dusty, elle, enregistre sa voix plus tard, seule, à New York. Elle est tétanisée à l’idée de chanter là où Aretha Franklin et Wilson Pickett ont posé leurs voix. Trop de pression, trop de légendes dans les murs. Alors elle attend. Puis elle revient, loin des micros sudistes, et pose sa voix dans une cabine new-yorkaise. Et le miracle opère.
Le murmure plutôt que le cri
La force de Dusty Springfield, c’est qu’elle ne surjoue jamais. Sur Just a Little Lovin’, elle ne cherche pas à en faire trop. Elle est juste là, et c’est suffisant. Une soul blanche mais ardente, habitée sans jamais être démonstrative. Elle chante comme elle est. Et c’est là tout son génie. Ce morceau, c’est un oreiller encore chaud, un drap froissé. Elle pourrait chanter l’annuaire que le désir resterait palpable.
Une chanson incarnée
Barry Mann, co-auteur du morceau, ne mâche pas ses mots : « To me, Dusty Springfield is one of the great female singers of all time. Her interpretation of my song is as good as it gets. » Et c’est vrai. Dusty vit cette chanson. C’est une femme qui parle de ce qu’elle connaît, ou du moins de ce qu’elle désire ardemment. Ce n’est pas une fiction. C’est un instant de vie.
L’album, longtemps incompris
Dusty in Memphis est un disque riche, élégant, et terriblement moderne malgré son âge. Il contient d’autres pépites : Breakfast in Bed, I Don’t Want to Hear It Anymore, Don't Forget About Me… Mais à sa sortie en 1969, l'album se vend mal. Malgré le succès de ...Preacher Man, le disque est accueilli fraîchement, notamment au Royaume-Uni. Trop soul pour le public pop, trop lisse pour les puristes R&B.
Et pourtant, le temps lui donnera raison. Reconnu aujourd’hui comme son chef-d’œuvre, Dusty in Memphis est classé parmi les meilleurs de tous les temps. Il a même été intrônisé au Grammy Hall of Fame en 2001. Il est désormais vu comme un tournant majeur dans l’histoire de la musique enregistrée par une femme dans l’ère rock.
Un projet risqué, un pari personnel
À l’origine, Dusty signe chez Atlantic dans l’espoir de relancer sa carrière et de gagner en crédibilité artistique. Mais elle pose une condition : travailler avec le boss, Jerry Wexler. Celui-ci lui soumet des dizaines de démos, mais peine à obtenir son accord. Il écrira plus tard, un brin dépité : « She approved exactly zero. To say yes to one song was seen as a lifetime commitment. »
Dusty, de son côté, nuancera cette version : elle aurait coché deux titres dès le départ — Son-of-a Preacher Man et… Just a Little Lovin’. Elle avait vu juste, encore une fois. Mais ce perfectionnisme quasi maladif, cette insécurité permanente, Wexler n’en revient toujours pas. Comment une chanteuse aussi talentueuse pouvait-elle autant douter ?
Just a little miracle
Aujourd’hui, Just a Little Lovin’ n’a rien perdu de sa puissance douce. C’est une chanson qui vous accompagne sans forcer. Qui vous rappelle qu’un peu d’amour, le matin, peut tout changer. Une chanson qui vous chuchote qu’un autre monde est possible — un monde un peu plus tendre.
Pas besoin de grand discours. Ni de café brûlant. Juste Dusty et sa voix.
Et franchement, qui refuserait ça ?
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