Dusty Springfield - I Only Want to be with You, 1er disque solo
- L'Agent Secret des Chansons
- 4 janv.
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Avant de devenir la diva au mascara légendaire qu’on connaît tous (ou qu’on devrait connaître), Dusty Springfield n’était encore que Mary O'Brien, une jeune Anglaise à la voix soul perdue dans un groupe de folk-pop familial : The Springfields. Formé avec son frère Tom et leur ami Tim Feild (remplacé plus tard par Mike Hurst), le trio cartonne gentiment au Royaume-Uni au début des années 60, avec des harmonies vocales inspirées des Everly Brothers, et même un peu aux États-Unis avec Silver Threads and Golden Needles, un des premiers tubes britanniques à entrer dans le Billboard Hot 100.
Mais Dusty, elle, sent que ça ne va pas suffire. Elle veut du panache, du drame, des chœurs, des cuivres, du Spector dans les oreilles et du noir sous les yeux. Alors, en 1963, clap de fin pour les Springfields, et bonjour la carrière solo. Trois semaines à peine après le dernier concert du groupe, Dusty sort son tout premier 45 tours. Et là, ça va faire boom.
Une chanson qui claque dès l’intro
Ce premier single, c’est I Only Want to Be With You, une déclaration d’amour en technicolor. Écrite par Mike Hawker et Ivor Raymonde, la chanson n’était à la base même pas prévue pour elle. C’est la femme d’Hawker, Jean Ryder, qui devait l’interpréter. Mais quand le producteur Johnny Franz appelle Hawker pour lui dire : « Il nous faut un hit pour Dusty, là, maintenant, tout de suite », on recycle en urgence. Et bien heureusement.
La démo est enregistrée à l’arrache avec Jean Ryder chantant en tapant sur un couvercle de boîte à biscuits... Dusty entend la chanson, l’adore, et le 25 octobre 1963, elle entre en studio à Londres pour l’enregistrer. Le producteur Johnny Franz est aux commandes, l’arrangement est signé Raymonde, et c’est une véritable tentative de Wall of Sound à l’anglaise.
Résultat : une intro impossible à oublier, un beat qui fait ticker-ticker, des chœurs joyeux, des cuivres éclatants, et cette voix ! – légèrement noyée sous les arrangements, certes, mais déjà bouleversante.
Succès immédiat (mais pas partout)
Sortie en novembre 1963, I Only Want to Be With You grimpe vite au Top 5 britannique, s’installant confortablement à la 4e place en janvier 1964. Elle entre même dans l’histoire en devenant la deuxième artiste de la British Invasion à entrer dans le Billboard américain après les Beatles eux-mêmes. La chanson atteint la 12e place aux États-Unis, et Dusty devient du jour au lendemain l’ambassadrice la plus soulful de la pop anglaise.
En Australie, elle monte jusqu’à la 6e place. En Allemagne, elle enregistre même une version locale, "Auf dich nur wart' ich immerzu", ce qui prouve un certain zèle promotionnel. En revanche, en France, c’est une autre paire de manches.
En France, Dusty rate son rendez-vous
Malgré tout son panache et son brushing impeccable, Dusty ne fait pas recette en France. Sa version originale de I Only Want to Be With You ne s’écoule qu’à 40 000 exemplaires dans l’Hexagone. Un score honorable, mais bien maigre pour ce qui est alors un hit mondial.
Pourquoi cet accueil tiède ? Peut-être parce que le public français a ses propres idoles, et surtout ses propres versions traduites. Richard Anthony s’empresse d’enregistrer le morceau francisé sous le titre À présent tu peux t’en aller. Et là, c’est le jackpot : 10 semaines numéro 1 en 1964. C’est entraînant, c’est larmoyant, et ça parle d’infidélité. La France adore.
Quant aux Surfs, le groupe yéyé malgache, ils en font aussi une reprise vitaminée, parfaitement dans l’air du temps. Résultat : en France, quand on fredonne ce refrain, on pense d’abord à Richard Anthony ou aux Surfs. Dusty, elle, reste dans l’ombre… pour le moment.
Une chanson culte qui ne veut pas mourir
Mais le destin de I Only Want to Be With You ne s’arrête pas là. Le morceau va traverser les décennies, porté par de multiples reprises. En 1976, les Bay City Rollers la reprennent et atteignent… la 4e place au Royaume-Uni (encore). En 1979, c’est au tour des Tourists (avec Annie Lennox !) : encore une fois, 4e. Un vrai plafond de verre.
Même Samantha Fox s’y essaie en 1989, avec une version plus dance. Elle n’ira pas plus haut que la 16e place.
Et ce n’est pas fini : en 1997, la chanson devient le générique de la série HBO "Arliss" avec Sandra Oh, preuve que même à l’écran, Dusty a toujours su s’incruster avec classe.
Dusty, pionnière pop et femme libre
I Only Want to Be With You, ce n’est pas qu’un hit, c’est aussi le point de départ d’une carrière hors norme. Dusty Springfield va rapidement enchaîner les succès (Stay Awhile, You Don’t Have to Say You Love Me, Son of a Preacher Man), tout en s’imposant comme une figure singulière dans un monde musical souvent macho et conservateur.
Elle assume très tôt son amour pour la soul américaine, son exigence artistique (quitte à s’engueuler avec tout le monde en studio), et plus tard, son homosexualité – à une époque où c’était loin d’être évident. Bref, une vraie pionnière.
Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui, Dusty Springfield est enfin reconnue à sa juste valeur. Son entrée au Rock and Roll Hall of Fame en 1999 (peu avant sa mort) a officialisé ce que beaucoup savaient déjà : Dusty, c’est une voix, une attitude, une époque.
I Only Want to Be With You, avec ses paroles naïves mais touchantes ("You stopped, you smiled at me / And asked me if I cared to dance"), reste une capsule temporelle de ce moment magique où une chanteuse anglaise ose tout plaquer pour lancer sa propre légende.
Alors oui, en France, on a préféré la version de Richard Anthony et ses reproches polis. Mais il n’est jamais trop tard pour redonner à Dusty ce qui appartient à Dusty.
Mettez le morceau, montez le volume, et laissez-vous emporter. Vous verrez : vous n’aviez jamais autant eu envie d’être avec elle.

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