Dusty Springfield, scandales et renaissance : l’histoire de Nothing has been proved (1989).
- L'Agent Secret des Chansons
- 23 mai
- 3 min de lecture

À la fin des années 80, si vous évoquiez Dusty Springfield, la réponse la plus probable était un silence poli ou un “Ah oui, Son of a Preacher Man, non ?”. Après une décennie de disques passés quasi inaperçus et d’exils artistiques, l’icône soul à la voix brumeuse semblait appartenir à une autre époque. Mais voilà qu'en 1987, surgit de nulle part un duo improbable qui allait changer la donne : What Have I Done to Deserve This?, un tube électro-pop irrésistible, fruit de la rencontre entre Dusty Springfield et les Pet Shop Boys.
Ce hit planétaire (n°2 au Royaume-Uni et aux États-Unis) redonne à Dusty une visibilité qu’elle n’osait plus espérer. Et surtout, cela marque le début d’une collaboration artistique inattendue. Neil Tennant, fan de la première heure, voit en elle la voix idéale pour ses récits ambigus et élégamment désabusés. La machine est relancée.
Nothing Has Been Proved : de l'affaire Profumo au dancefloor feutré
L’année suivante, les Pet Shop Boys sont approchés pour composer un morceau pour le film Scandal de Michael Caton-Jones, qui revient sur l’affaire Profumo, scandale politique et sexuel d’anthologie ayant secoué le Royaume-Uni en 1963. Pour résumer : un ministre de la Défense, une call-girl, un espion soviétique, des soirées douteuses, et une élite politique trempée jusqu’au col. Il ne manquait plus qu’une bande-son à la hauteur.
Tennant se souvient alors d’un texte qu’il avait écrit bien avant la formation du duo, inspiré du scandale. Le récit est sobrement narratif, presque journalistique. Il l’offre à Dusty, et avec Chris Lowe, ils lui créent une musique où des nappes électroniques croisent un orchestre, dirigé par Angelo Badalamenti (oui, celui de Twin Peaks). Cerise sur le gâteau : un solo de saxophone signé Courtney Pine, qui vient ponctuer ce trip feutré avec classe.
Dès les premières mesures de Nothing Has Been Proved, c’est tout un monde qui s’ouvre. Une ambiance de club anglais et de secrets d’État, où Dusty promène sa voix comme on feuillette un dossier classé confidentiel.
“It may be false, it may be true” : la rumeur comme refrain
Le texte est une reconstitution condensée mais précise de l’affaire Profumo. Mandy, Christine, Stephen… tous les protagonistes sont là, évoqués par leur prénom, comme dans un roman noir où tout le monde a quelque chose à cacher. Les faits sont flous, les rumeurs omniprésentes, mais une vérité émerge : “Nothing has been proved”.
Dusty, en grande actrice vocale, fait glisser ces mots comme une lame. Et pourtant, malgré son expérience, l’enregistrement fut tout sauf une formalité. Neil Tennant se souvient : “Elle enregistrait syllabe par syllabe. Elle commence le premier vers, ‘Mandy’s in the papers’, et s’arrête à ‘Man…’. On rembobine. C’était interminable, mais quand elle est arrivée à la dernière reprise du refrain, elle l’a littéralement arrachée au ciel. C’était un moment magique.”
Le morceau sort en single en février 1989 et grimpe jusqu’à la 16e place des charts UK. Mieux encore, il donne à Dusty un regain de crédibilité critique et artistique en tant qu'artiste solo. Fini les classements poussiéreux, elle devient à nouveau une voix qui compte.
Suite logique, mais pas automatique : Nothing Has Been Proved ouvrira la voie à un nouvel album studio, Reputation, qui sortira en juin 1990. En France, il faudra attendre le single suivant In Private pour la voir enfin au Top 50.
La vérité selon Dusty
Le clip de Nothing Has Been Proved prolonge le jeu d’ombres : Dusty en diva de cabaret, une sosie de Christine Keeler, des flashs de paparazzi, et des extraits du film Scandal. Tout est là pour rappeler que les scandales passent, mais les icônes, elles, trouvent toujours une scène.
Dans un monde de fake news avant l’heure, Nothing Has Been Proved résonne comme un hymne à l’ambiguïté. Alors non, rien n’a peut-être été prouvé… mais une chose est sûre : Dusty Springfield, elle, avait bel et bien été retrouvée.
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