Chaque instant de chaque jour : quand Sheila se la joue Bacharach
- L'Agent Secret des Chansons

- 5 oct. 2024
- 4 min de lecture

Si vous pensez que Sheila dans les années 60 n’était qu’une poupée à couettes, enchaînant les chansonnettes sautillantes, détrompez-vous, il est temps de redécouvrir une autre facette de sa discographie. En 1964, à seulement 18 ans, elle prend tout le monde à contre-pied avec Chaque instant de chaque jour, une ballade élégante et sophistiquée adaptée d’un titre de Burt Bacharach et Hal David, Any Old Time of the Day, chanté par Dionne Warwick.
Avec ses arrangements feutrés et une interprétation tout en douceur, ce morceau révèle une Sheila plus intime, plus posée, loin des refrains insouciants qui l'ont fait connaître. Un pari audacieux, mais qui n’a pas totalement rencontré son public à l’époque.
Un changement de ton pour Sheila
1964, Sheila est en pleine ascension. L’école est finie a fait d’elle une star et depuis, elle enchaîne les titres à une vitesse impressionnante. Derrière cette belle mécanique, la réalité est plus compliquée : entre une première tournée intense et un rythme de production effréné dicté par son mentor Claude Carrère, la jeune chanteuse se retrouve fragilisée, malade, fatiguée. L’heure est venue de souffler.
Et là, au milieu de cette course folle, arrive Chaque instant de chaque jour. Une ballade, tout en retenue, avec une vraie finesse dans l’interprétation. Ca aurait pu être un tournant.
Le choix d’un morceau de Bacharach n’est pas anodin. Ce compositeur est déjà une référence mondiale, avec ses mélodies et ses arrangements très reconnaissables. C’est de la musique qui demande un certain niveau d’interprétation, et Sheila s’en sort vraiment bien.
Dès les premières secondes, la chanson installe une ambiance plus intime, plus mature. Il y a ces chœurs puissants et ces cordes bien dosées, et surtout une Sheila qui chante différemment, plus posée, sans forcer le trait.
Un texte bien écrit et une interprétation tout en sobriété
Les paroles françaises, confiées à Michèle Vendôme, restent fidèles à l’esprit original. Fille du pianiste Raymond Wraskoff, elle est déjà connue pour avoir signé des textes pour Dalida (Fado), et collaborera par la suite à plusieurs reprises avec le tandem Sheila/Carrère sur Il Faut Se Quitter et Oui, il faut croire (I Just Don’t Know What to Do with Myself), autre classique de Bacharach.
Dans cette chanson, Sheila parle d’un amour qui rythme chaque instant de chaque jour, un peu comme une obsession douce. Il n’y a pas de gros effets vocaux, pas de surjeu, juste une émotion simple et directe, jusqu’aux "je t’aime" qu’elle répète à la fin.
Et puis, ce morceau ne suit pas la structure classique couplet-refrain bien marquée. Ça monte petit à petit, avec une progression naturelle qui donne à la fin un côté presque « trop peu » à la chanson.
Dalida s’en mêle
Petite anecdote : Sheila n’est pas la seule à poser sa voix sur cette adaptation. Les éditions musicales proposent également la chanson à Dalida, qui en fait la face A de son propre 45 tours. Une situation surprenante, qui place les deux chanteuses en concurrence directe sur un même titre.
Leurs interprétations sont cependant un peu différentes. Dalida reste fidèle à son style lyrique et laisse la chanson en suspend sans les « je t’aime » finaux. Sheila, elle, opte pour une émotion plus contenue, qui donne au morceau une délicatesse particulière, même si sa déclaration finale monte en puissance.
Difficile de dire laquelle des deux versions est la plus marquante, mais on imagine que cette double sortie n’a pas dû faire que des heureuses…
Un succès en demi-teinte
Avec un titre aussi bien construit, on pourrait croire que Chaque instant de chaque jour a bien fonctionné. Oui… mais sans plus.
Le disque se vend correctement, à la hauteur de son précédent (Hello petite fille), bien mieux que la version de Dalida, mais sans atteindre les scores des tubes de l’année précédente. Il faut dire que le public de Sheila ne l’attendait pas sur ce terrain-là. Peut-être que ceux qui aimaient L’école est finie et Le Sifflet des copains ne savaient pas trop quoi faire de cette ballade plus adulte et plus posée.
Du coup, Claude Carrère ne s’attarde pas. Il a bien compris que le public voulait du Sheila plus yéyé et moins sophistiqué, alors il relance ensuite la machine avec Vous les copains et Écoute ce disque, qui, eux, deviennent des gros succès.
Un retour inespéré sur scène en 2002
Mais comme souvent, les chansons oubliées finissent par être réhabilitées avec le temps. En 2002, près de 40 ans après sa sortie, Sheila interprète pour la première fois Chaque instant de chaque jour sur scène, à l’Olympia.
Un choix qui témoigne de l’attachement particulier qu’elle conserve pour ce titre. Son interprétation mature, chargée de vécu, lui donne une nouvelle dimension, mais restitue pourtant la magie initiale.
Pourquoi cette chanson ne m’a jamais quitté ?
On a tous une chanson qui nous suit au fil des années, qui revient toujours dans nos playlists, qu’on ne se lasse jamais d’écouter. Pour moi, c’est celle-là.
Je l’ai découverte il y a longtemps et elle m’a accompagné à toutes les étapes de ma vie. Il y a quelque chose dans cette mélodie, dans cette interprétation, qui me touche toujours autant.
Sheila a chanté des tas de ballades, mais ici, elle montre qu’elle sait faire autre chose, qu’elle peut être subtile et émouvante. C’est peut-être ça qui me plaît autant : cette facette plus discrète de la chanteuse, qu’on retrouvera plus tard sur Le Rêve.
Un joyau méconnu à redécouvrir
Alors, Chaque instant de chaque jour, oubli à réparer ou simple curiosité vintage ? Plutôt la première option. La magie Bacharach opère, la voix de Sheila est à son meilleur en demi-teinte, et surtout, c’est un moment suspendu dans sa discographie, une preuve qu’elle aurait pu emprunter des chemins bien différents avec des compositeurs lui offrant des écrins de cette qualité.
Une écoute s’impose, ne serait-ce que pour découvrir cette Sheila-là : un brin mélancolique et totalement élégante.



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