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Dans la glace : Sheila et le reflet d'une trahison



Il y a des chansons qui s’écoutent et s’oublient aussitôt, et puis il y a celles qui restent, accrochées quelque part dans un coin de notre mémoire. Dans la glace fait partie de cette deuxième catégorie. Dès l’enfance, elle a eu une place spéciale dans ma playlist mentale, sans que je puisse vraiment expliquer pourquoi. Peut-être parce qu’elle n’a jamais été un tube grand public. J’aimais bien cette idée que c’était ma chanson, une pépite cachée que seuls les initiés connaissaient.


Sortie en 1965, cette chanson de Sheila est un drôle de mélange : une mélodie légère, presque insouciante, qui contraste avec une histoire de trahison amoureuse.


Une histoire de trahison vue dans un reflet


Le scénario est simple. Une jeune fille entre dans un café, tente d’appeler son amoureux, mais… silence. Personne ne répond. Elle tourne la tête et, dans un miroir, elle le voit. Il est là, en train de flirter avec sa meilleure amie. C’est un thème universel : le moment où tout bascule, où l’on passe de la naïveté à la désillusion.


Une mélodie douce pour une claque amère


Sur le plan musical, son ambiance feutrée et mélancolique, sa guitare ronde et ses chœurs rappellent les slows des girl groups américains de l’époque, comme les Ronettes (Baby I Love You) ou les Shangri-Las.


Et pour cause : cette chanson est une adaptation française de "Sunglasses", un titre country-pop de Skeeter Davis, sorti en 1964. L’original raconte une histoire proche : une fille trompée qui cache ses larmes derrière ses lunettes de soleil. Sheila, elle, pleure dans l’ombre, témoin impuissant de sa propre désillusion...


C'est cette dualité entre la mélodie légère et le texte amer qui donne à Dans la glace un charme particulier.


Un 45 tours au destin inattendu


Quand Claude Carrère, producteur et mentor de Sheila, prépare un nouveau 45 tours pour la fin d'année 1965, il veut frapper fort.

Le titre phare du disque est d’abord censé être Tous les deux, une mélodie inspirée d’un air joué au piano par Carrère lui-même. Il demande à Mémé Ibach et André Salvet de lui trouver un titre court et percutant, trois syllabes de préférence. Plusieurs propositions fusent : Si tu veux, Tous les deux… Finalement, ce sera ce dernier choix qui sera retenu et inscrit sur la pochette.

Mais au moment de la sortie, tout bascule : c’est l’autre face du disque qui va attirer toute l’attention.


Le phénomène Le Folklore Américain


Parmi les chansons retenues pour ce 45 tours, il y a ce morceau atypique : Le Folklore Américain. Mémé Ibach avait écumé les maisons d’édition à la recherche de morceaux efficaces pour différents chanteurs. C’est en rendant visite à Rolande Bismuth, directrice artistique de Michel Fugain, qu’il découvre une chanson qu’il envisage d’abord pour Marie Laforêt. Mais au dernier moment, il change d’avis et la propose à Carrère.

Il s'agit d'une reprise d’un square-dance, une danse traditionnelle des pionniers de l’Ouest américain, qui sera adaptée en français par Jacques Plante et André Salvet.


Dès la sortie, Le Folklore Américain est propulsé sur le devant de la scène. Sheila l’interprète dans les grandes émissions télévisées, accompagnée d’une chorégraphie dynamique et d’un costume typique. Le succès est fulgurant. Ce sera pour elle le tout début des mises en scènes dansées à TV qui se poursuivront régulièrement pendant 15 ans.


Résultat : Tous les deux reste en retrait malgré la promo. Et pour Dans la glace, pas de passage télé, pas de mise en avant. Pourtant, le titre avait tout pour séduire… mais se retrouve éclipsé par la vague du folklore.


Le grand retour sur scène… 37 ans plus tard


Sheila, elle-même, semble avoir gardé une certaine tendresse pour ce morceau. Il faudra attendre 2002 pour qu’elle le ressorte enfin sur scène, lors de son spectacle à l’Olympia.


Dans un medley sixties, Dans la glace réapparaît aux côtés du Rêve et Enfin Réunis. Un retour discret, mais qui prouve que la chanson n’a jamais été totalement oubliée.


Une résurgence inattendue grâce à Tracey Ullman


Si de mon côté j’avais fini par un peu oublier Dans la glace, elle m’est revenue en 1984, lorsqu’une certaine Tracey Ullman sort sa version de Sunglasses.


Là, tout s’éclaire : cette reprise, plus punchy et plus pop, m’a immédiatement plu et ramené aussi à la version de Sheila. Ça m’a aussi fait réaliser à quel point certaines chansons méritaient une seconde vie.


D’ailleurs, Tracey Ullman n’en était pas à son coup d’essai. Au début des années 80, elle s’amuse à revisiter plusieurs tubes à connotation sixties, comme Breakaway de Irma Thomas, redonnant un coup de projecteur à ces perles oubliées.


Les chansons cachées sont parfois les plus précieuses


Avec le temps, on a tous des morceaux qu’on garde précieusement, ceux qui ne sont pas des hits mais qui nous accompagnent quand même. Dans la glace fait partie de ces trésors cachés.


Peut-être parce qu’elle parle de désillusion sans pathos, peut-être parce que son histoire se résume à une simple image forte. Peut-être aussi parce qu’elle a ce petit parfum de nostalgie qui la rend intemporelle.


Comme quoi, les histoires de cœurs brisés et de miroirs traîtres, ça traverse les décennies sans prendre une ride.





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