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Le Mari de Mama - 1972 : l'année où Sheila a mis les hommes au ménage

Dernière mise à jour : 30 juin


Ah, Le Mari de Mama. Rien qu’en prononçant ce titre, on sent déjà le parquet fraîchement ciré et les effluves du dîner mijoté par Monsieur, pendant que Madame se fait une toile. Oui, aujourd’hui dans L’Agent Secret des Chansons, on s’attaque à un morceau pas comme les autres : une face A ! Mais pas n’importe laquelle. Une face A oubliée, mise au placard par Sheila elle-même, comme une photo de vacances qu’on ne ressort jamais. Pourtant, Le Mari de Mama, paru en juin 1972, est une chanson colorée, dansante… et un peu étrange aussi.


Une chanson clin d’œil pour danser


En 1972, Sheila enchaîne les tubes, toujours pilotée par l’infatigable Claude Carrère. Après Samson et Dalila, on s’attend pour l’été à du soleil, du rythme et une belle chorégraphie. Et elle est bien là, la chorégraphie ! Pendant cinq jours, Sheila répète son ballet télévisé du Mari de Mama pour Télé-Dimanche. C’est sa première vraie chorégraphie depuis Trinidad, et aussi... quasiment la dernière où elle danse entourée de danseurs pendant cinq longues années (jusqu’à Love Me Baby, baby).


Et ensuite, Le Mari de Mama ne sera jamais repris sur scène. Nada. Rien. Une chanson-fantôme, cloîtrée au fond du tiroir à archives. Et ça, franchement, ça pique un peu. Car malgré ses airs de chanson de kermesse, le titre est un manifeste féministe avant l’heure. Ou, à tout le moins, une inversion des rôles en douceur.


Déjà, la chanson commence fort :

Il fredonne "cigarettes, whisky et p’tites pépées"

Fait le ménage en revenant du marché

Lave la vaisselle, cire les parquets sans même déjeuner


Hein ? Quoi ? Le mari fait le ménage ? En 1972 ? Le texte, signé Carrère et Jean Schmitt, est une vraie curiosité. Le mari de Mama est un homme de maison, attentionné, actif, fidèle. Il n’est ni rabaissé, ni tourné en ridicule. Il est... heureux. Il ne s’ennuie pas. Il chante une vieille chanson d’Annie Cordy (d’ailleurs enregistrée par Carrère himself en 1957, tiens tiens). Il s’épanouit même dans ce quotidien. Et c’est justement ce qui fait tout le sel de cette chanson, son jeu avec les rôles genrés.


Sheila, avec son sourire franc, balance là une chanson presque subversive.


Et pendant ce temps, Mama ?


Elle va au cinéma. On ne sait même pas avec qui. Peut-être seule. Peut-être avec « l’ami » de son mari, celui qui, d’ailleurs…

...est depuis toujours amoureux fou de Mama

Mais il sait qu’il ne faut jamais la serrer de près

Quand on parle de Mama, alors là, le mari ne plaisante pas


Ah ! Voilà notre instant western spaghetti. Le mari est gentil, certes, mais faut pas lui marcher sur les lacets non plus. Là, on est proche de Clint Eastwood. Sauf qu’au lieu du colt, il a une serpillière.


Ce mari protège. Pas par domination, mais par amour. Il ne contrôle pas sa femme, ne l’empêche pas de vivre. Est-ce une vision malgré tout paternaliste ? Peut-être. Ou peut-être qu’en 1972, c’était déjà pas si mal.

Une chanson hollandaise perdue en traduction


Le Mari de Mama est l’adaptation d’une chanson néerlandaise, Mary’s Mama, du groupe Drama. Un groupe qui, ironie du sort, ne jouait même pas ce morceau en concert. Trop commercial, trop hors-style pour leur rock bluesy.


L’original racontait l’histoire d’une Mary revenue enceinte d’un week-end à Copacabana, et de tout le quartier qui veut jouer au papa de substitution. Pas vraiment la même ambiance. Carrère a dû se dire : “Copacabana, grossesse hors mariage ? Trop risqué. Allez hop, on recycle ça en comédie domestique.”


Et il faut le dire : ça marche ! Le disque se vend bien (dans le Top 10 de l’été 72), même s’il ne tutoie pas les sommets atteints plus tard avec Poupée de porcelaine ou Les Gondoles à Venise. Mais Le Mari de Mama a ce petit truc irrésistible : une légèreté pleine de sous-entendus, un swing joyeux. On se surprend à chantonner ce refrain hypnotique :

Le mari de Mama, le mari d’Mama…


La face B : Oui je t’aime, l’amour façon carte postale


Et que dire de la face B, Oui je t’aime ? Là on retombe dans la version classique du couple (“je te confie mes jours”). Une sorte de road-movie amoureux, avec valise en jean, tee-shirt blanc et chandail pour les jours gris, mais qui ne va pas très loin. Ceci dit, c’est mignon, c’est gai, et on quitte la comédie de la face A pour un duo en mode évasion fiscale (le percepteur est largué au passage).


Pourquoi Sheila l’a-t-elle enterrée ?


On peut raisonnablement se demander : pourquoi Sheila n’a-t-elle jamais rechanté Le mari de Mama alors que ses autres succès des années 70 ont quasi tous été repris sur scène ? Trop kitsch ? Trop connotée ? Trop éloignée de son image ? Peut-être. Pourtant elle a bien rechanté L’arche de Noé et Patrick mon chéri, et avec beaucoup d’humour en plus… Ou peut-être que Le Mari de Mama appartenait à une époque, un instant précis, et qu’il fallait l’y laisser.


Mais nous, ici, à L’Agent Secret des Chansons, on a le droit d’ouvrir les tiroirs. De fouiller dans les vinyles un peu oubliés. Et de se rappeler que, parfois, des drôles de pépites s’y cachent.


Alors, cher Mari de Mama, même si tu n’as plus droit de cité sur scène, sache qu’on ne t’oublie pas. On t’entend encore passer l’aspirateur, en sifflotant pendant que ta femme mate un Bergman en paix.


Et franchement, c’est beau, non ?


1 Comment

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Bruno Lucas
Jun 16
Rated 4 out of 5 stars.

Moi, ce qui m'avait marqué et interrogé quand j'ai acheté ce 45 tours, c'était : Mais à qui diable appartient la main posée sur l'épaule gauche de ma Sheila ? 😆 C'est bizarre que Sheila n'ait jamais repris cette chanson, en effet. Elle qui est prompte à reprendre à son compte tous les grands sujets des années 70 (le racisme, l'écologie, la spiritualité et j'en passe) pourrait revendiquer le féminisme assumé - et décalé - qui ressort de ce presque tube.

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