Sheila et l’Olympia – Épisode 3
- L'Agent Secret des Chansons
- 30 sept.
- 4 min de lecture
1998 et 2002 : renaissance, élégance et frissons à fleur de peau.
Prologue : retour au temple
L’Olympia, c’est plus qu’une salle de concert. C’est un lieu où les carrières se couronnent… ou se consument. Pas besoin de décors grandioses, ni d’effets spéciaux. À l’Olympia, tout repose sur une équation simple et brute : un artiste, une scène, un public. Le reste ne compte pas.
Sheila, elle, connaît déjà bien ce lieu. En 1989, elle y avait tiré sa révérence, avec un show aux allures de fermeture définitive. Neuf ans plus tard, contre toute attente, elle choisit ce même lieu pour son retour. Pas un Zénith, ni un casino cosy avec nappes blanches et verres de champagne : non, l’Olympia. Le choix de la renaissance.
En 1998, c’est un pari. Après une compilation de ses succès réenregistrés et seulement deux titres neufs à se mettre sous la dent (plus une reprise des Carpenters), mais soutenue par un entourage fidèle, la chanteuse sait qu’elle joue sa légitimité. Et également son lien avec ses fans (gays notamment, qui l’ont élevée au rang d’icône).
Quatre ans plus tard, en 2002, elle reviendra au même endroit, cette fois pour un jubilé : quarante ans de carrière. Deux Olympia, deux moments charnières, deux facettes d’une même artiste.
1998 : l’Olympia en surchauffe
Septembre 1998. Les lettres rouges au fronton affichent un simple : SHEILA. Devant la salle, la foule patiente depuis des heures. Banderoles, badges, vieux 45 tours : c’est déjà une fête avant la fête.
À l’intérieur, l’ambiance est électrique. Quand les lumières s’éteignent, Sheila en blanc immaculé attaque une chanson inédite, Tu m’as manqué. Le titre résonne comme une déclaration : oui, elle a manqué à son public. Et l’inverse est tout aussi vrai. La salle explose. On n’entend presque pas les premières paroles, couvertes par les acclamations. Peu importe : le pacte est scellé.
Le spectacle navigue entre introspection et fiesta. Sheila la vulnérable (Vague à l’âme, L’écuyère, Emmenez-moi), puis Sheila la tornade (Samson et Dalila remixée, Vous les copains en mode franco-anglais, Quel Temperament de feu, et deux medleys 60/70 et disco qui transforment l’Olympia en machine à remonter le temps).
Moment culte : la version salsa des Rois Mages. Quatre danseurs déboulent, Sheila descend un escalier en diva caliente, et d’un coup, la salle entière se lève pour danser. Mia Frye, chorégraphe du spectacle, a visiblement instillé un peu de l’énergie de sa Macarena.
Et puis, comme dans tout bon scénario, l’imprévu. Sheila se blesse au genou : entorse, ligament touché. Beaucoup auraient annulé, elle non. Chaque soir, kiné en coulisses, strap serré, un coup de glace, et retour sur scène. Rock’n’roll attitude, version Sheila. Et quand le final sur Spacer transforme l’Olympia en discothèque, on comprend qu’aucune douleur ne pouvait l’empêcher de retrouver son public.
Résultat : prolongations en 1999. Le message est clair : Sheila est revenue dans l’arène et le public en redemande.
2002 : élégance et émotion brute
Quatre ans passent. Coup du sort : Sheila perd ses deux parents à quinze jours d’intervalle. De quoi laisser une cicatrice profonde. Alors quand l’annonce tombe qu’elle revient à l’Olympia pour ses quarante ans de carrière, la question plane : tiendra-t-elle le coup ?
Réponse : oui. Et pas seulement. Elle livrera selon moi l’un des spectacles les plus réussis de sa carrière.
Le titre du show, Jamais deux sans toi, sonne comme un clin d’œil à ses fidèles. Les places s’arrachent en quelques jours, même Le Monde salue l’événement (preuve qu’ils n’écoutent pas que Barbara). Novembre 2002, rideau rouge, salle comble, ambiance solennelle et festive.
Première image : Sheila surgit en smoking noir dessiné par Jean-Paul Gaultier. Classe absolue. Elle entame Toutes ces vies, chanson miroir d’un parcours jalonné de hauts et de bas. L’orchestre, imposant, donne une couleur nouvelle au répertoire. Dès les premières notes, on comprend que ce ne sera pas un simple best of nostalgique, mais un spectacle construit comme une déclaration d’indépendance artistique.
Sheila ose. Elle sort de sa zone de confort. Smile, Over the rainbow, un détour par la bossa et la Motown (Stop in the name of love). Sheila joue avec ses registres, ses postures, sa liberté. Une artiste mature, qui s’amuse avec son propre mythe.
Évidemment, les tubes disco et le medley salsa sont là pour faire danser. Et la fiesta finale voit musiciens et danseurs s’écrouler façon crash-test heureux. Mais le vrai cœur du spectacle, celui qui reste gravé, c’est ailleurs qu’il se niche.
L’Absent : le moment suspendu
Au milieu de la fête, Sheila choisit de chanter L’Absent de Gilbert Bécaud. Un choix lourd de sens : « Qu’elle est lourde à porter l’absence de l’ami… ». Elle le fait en mémoire de ses parents, partis presque en même temps.
Elle chante. Sa voix n’est pas la plus puissante, mais elle est nue, traversée par l’émotion brute. Chaque mot résonne, l’émotion est palpable, contagieuse. Beaucoup pleurent. Et ce soir-là, Sheila n’était plus une idole. Elle était une femme en deuil, sublimant sa douleur par le chant.
C’est ça, un grand concert : pas seulement des tubes ou des chorégraphies millimétrées, mais ce moment fragile où l’artiste et le public respirent ensemble. L’Absent, ce soir-là, restera comme un sommet.
Sheila, deux nouvelles fois reine de l’Olympia
1998 et 2002. Deux Olympia, deux couleurs, deux visages d’une même Sheila. Le premier incandescent, énergique, disco et festif. Le second élégant, mature, bouleversant. Deux chapitres, un même fil rouge : l’amour indestructible entre une chanteuse et son public.
Sheila a prouvé qu’elle pouvait tout affronter : la blessure physique, le deuil, les critiques. Et à chaque fois, elle en a fait de la musique, de l’émotion, de la scène.
L’Olympia a ses mythes : Piaf, Brel, Aznavour. Sheila y a ajouté deux pierres rouges et brillantes. En 1998, elle s’est prouvée à elle-même qu’elle pouvait revenir. En 2002, elle s’est prouvée qu’elle pouvait encore innover, encore émouvoir, encore surprendre.
La suite, on la connaît : après deux soirées en 2007 et 2008 pour prolonger le Cabaret Sauvage, elle reviendra encore au même endroit en 2012, pour ses cinquante ans de carrière. Mais ça, c’est l’épisode suivant de notre série.
Merci au blog On Dit ainsi qu’à Pascal Caldéron pour son livre « De scènes en scènes avec Sheila ».