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"La Chanson" – Sylvie Vartan : l’histoire d’une chanson qui se la raconte


Été 1966. Pendant que la France sue en polo synthétique, Sylvie Vartan, elle, prend une pause. Pas de télé, pas de scène : elle est enceinte, bébé Hallyday en préparation. Elle laisse la lumière à d’autres, mais pas sans laisser une empreinte.


Sylvie, deux filles en elle


Plantons le décor. L’année 1966 est un virage pour la chanson française. Les yéyés ont fait leur temps, et de nouveaux visages émergent : Polnareff, Christophe, Dutronc s’imposent avec des styles plus affirmés. Le rock se teinte de psychédélisme, mais les formats classiques résistent : Mireille Mathieu explose avec Mon Credo, Adamo triomphe avec Une mèche de cheveux, Sheila emballe les cours de récré avec L’heure de la sortie.


À ce moment-là, Sylvie Vartan vit sa propre transition. Elle n’est plus la petite princesse yéyé, et pas encore la diva glam. Elle est en pause maternité, en questionnement existentiel, en pleine digestion d’un Johnny plus fuyant qu’un DJ au moment de payer l’addition.


Elle commence déjà à bifurquer, à chercher d’autres voies. Elle présente sa première collection de mode. En février, elle sort un album qui marque une vraie évolution. Exit la naïveté acidulée des débuts, place à des chansons plus nuancées, plus intimes. Parmi elles : C’était trop beau, Cette lettre-là, Quand tu es là (tube de l’année précédente), et Il y a deux filles en moi.


Et puis arrive juillet. La chaleur, les cigales, les robes trapèze… et un nouveau 45 tours. Son nom : Mr John B. Particularité : deux chansons inédites et deux reprises de l’album précédent. Parmi ces nouveautés, se niche La Chanson, un petit OVNI au titre si générique qu’on croirait une démo oubliée. Et pourtant…


Une chanson qui dit qu’une autre chanson ment


C’est le moment métaphysique de Sylvie. Dans La Chanson, elle parle… d’une chanson. Une chanson qu’elle a entendue, crue, suivie. Résultat ? Elle se retrouve seule, avec pour seule compagnie une mélodie qui sonne faux.


La chanson parlait, je me souviens, du premier amour et du premier chagrin…


Une chanson qui promet monts et merveilles et qui finit dans les bacs à solde du désenchantement amoureux. On est à la fois dans La Chanson, et dans la chanson sur la chanson. Un miroir dans un miroir. Ça fait mal à la tête, mais c’est diablement intrigant.


Écrite par Michel Laurent (le chanteur français à qui l’on doit Ma reine de Saba, tube colossal au Japon que Sylvie reprendra en 74 sur son album nippon), et composée par Léon Petit (guitariste de jazz et de studio), La Chanson est un petit joyau de désenchantement — modeste mais rudement bien fichu.


Un rythme en contrepoint


Ce qui frappe d’abord, c’est l’énergie du morceau : un tempo vif, un martèlement quasi mécanique, et des guitares qui évoquent les trottoirs de Carnaby Street à l’heure du Swinging London. On pense à une marche résolue, une détermination nerveuse, presque pressée.


C’est tout l’intérêt : ça tape du pied là où ça devrait trembler. Un vrai morceau de contradiction pop. Comme une lettre de rupture glissée dans une carte postale de vacances.

Et les autres titres du 45 tours ?


Mr John B : adaptation libre du Sloop John B des Beach Boys (issu d’un chant traditionnel bahaméen). Le duo Aber/Thibaut signe un texte original sur une ambiance psyché-pop océanique. Fun fact : les deux auteurs, mandatés sans le savoir tous les deux, ont failli se battre avant de finalement cosigner…

Stone en fera sa propre version, Fille ou garçon.


Dis-lui qu’il revienne : Sylvie, à la fois vulnérable et déterminée, y attend un homme qui ne répond plus. Titre original signé Georges Aber et Tommy Brown, entre dernier souffle twist et montée pop. Le morceau figurait déjà sur l’album Il y a deux filles en moi.


De ma vie : adaptation de Rescue Me de Fontella Bass. Sylvie en fait une version punchy, très british pop, qui claque comme une mini-jupe dans le vent. Dommage qu’elle ne l’ait jamais chantée sur scène : ça aurait envoyé du lourd.


Conclusion : la chanson dans la chanson qui finit dans notre chanson intérieure


La Chanson ne sera jamais chantée sur scène. Elle ne sera pas rééditée en CD. Et pourtant, avec ses couplets qui accusent, sa mélodie qui s’obstine, et cette Sylvie un peu désabusée, on tient là un moment de grâce mineure, qu’on écoute aujourd’hui en tapant du pied et en souriant un peu.


Et si, à force d’écouter des chansons qui nous mentent, on finissait par croire que La Chanson de Sylvie disait… la vérité ? (à méditer!)

 

 

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