Sylvie Vartan, 1966 : Noël sans toi, un petit chef-d’œuvre mélancolique
- L'Agent Secret des Chansons

- il y a 6 jours
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Reprenons notre fil là où nous l’avions laissé avec La Chanson : 1966, une année où Sylvie Vartan traverse la pop française comme une comète. C’est aussi l’année où elle enregistre l’un des EP les plus importants de sa carrière : Par amour, par pitié. Important parce qu’il marque l’entrée d’un dénommé Jean Renard dans son univers. Important aussi parce qu’il renferme, nichée entre deux futurs classiques, une chanson que parfois on oublie : Noël sans toi.
On parle pourtant d’une petite merveille écrite par Gilles Thibaut (déjà coupable de Cette lettre-là et futur auteur de Que je t’aime pour Johnny et Comme d’habitude pour Claude François) et mise en musique par Renard, encore inconnu du grand public mais déjà prêt à changer le destin de Sylvie.
Un EP qui compte dans son histoire
Sorti en décembre 1966, l’EP Par amour, par pitié réunit quatre titres : le fameux Par amour, par pitié, le sympathique Garde-moi dans ta poche, le très élégant Quand un amour renaît, et donc Noël sans toi. Seuls les deux premiers finiront sur l’album de mars 1967.
Mais c’est souvent comme ça dans la pop : des chansons attachantes glissent entre les mailles du filet, un peu trop fragiles pour devenir des tubes, un peu trop atypiques pour accéder à la postérité.
Noël sans toi, c’est une chanson qui ne fait pas semblant d’être joyeuse parce que ce sont les fêtes. Avec Thibaut, Noël est gris, humide, et chargé de douleurs qu’on accroche comme des boules sur un sapin trop lourd.
Noël vu par Gilles Thibaut
« Noël pour moi, c’est un ciel gris, c’est un vent froid. » Dans Noël sans toi, tout est désenchantement. Pas de rennes, pas de clochettes, juste une jeune femme qui se traîne à travers les fêtes comme on traverse une rue verglacée : la rue est en fête, mais pas elle. Le morceau est une anti-carte de vœux. Et pourtant, c’est mélancolique, mais jamais plaintif. Sylvie, à 22 ans, y met beaucoup de sincérité, comme si elle savait déjà que certaines nuits de fête sont faites pour pleurer un peu.
La première rencontre entre Sylvie et Jean Renard : un roman entier
Si Noël sans toi est touchant, son voisin sur l’EP, Par amour, par pitié, est un tournant pour la chanteuse. Une chanson qui mériterait son propre téléfilm. Heureusement, Jean Renard lui-même l’a racontée.
Renard, à l’époque, gagne sa vie dans les bals. Quelques 45 tours enregistrés, mais rien qui marche. Il songe à arrêter, jusqu’à ce qu’un ami, Francis Dreyfus, lui fasse comprendre qu’il ferait mieux de confier ses chansons à d’autres. Il l'avait déjà fait avec Françoise Hardy en 1963 en lui proposant Le premier bonheur du jour.
Dreyfus lui met dans les mains une vingtaine de textes de Gilles Thibaut. L’un d’eux s’appelle Par amour, par pitié. Renard l’adore. Il la chante dans des bals mais se dit que la chanson serait parfaite pour Johnny. Les débuts de carrière sont souvent faits de naïvetés qui finissent par devenir du destin.
Rendez-vous est donc pris rue Beaujon, dans le studio d’enregistrement de Sylvie, où ils savent que Johnny doit passer. Mais il ne viendra jamais. Sylvie, elle, termine sa séance, enfile son manteau, aperçoit Renard dans un coin et vient lui demander ce qu’il fait là. Il raconte. Elle sourit. Elle s’en va… puis revient.
Elle lui dit : « Jouez-moi votre chanson. » Il joue. Elle enlève son manteau. Elle lui demande de la rejouer. Il rejoue. Elle est émue aux larmes. « Vous vous êtes trompé. Cette chanson n’est pas pour Johnny, mais pour moi. »
Renard ne voulait pas. Une chanson pareille, c’était pour Johnny, pour une voix de cuir et de tempête. Mais Sylvie insiste. Elle sait ce qu’elle veut. Le lendemain, Renard cède. Et dans la foulée, il devient son directeur artistique improvisé.
Un jour plus tôt, il chantait dans les bals. Un jour plus tard, il était derrière la console de Sylvie Vartan.
Noël sans toi : un cadeau à redécouvrir
Avec tout ça, Noël sans toi pourrait sembler secondaire. Mais ce serait injuste. Cette chanson montre l’autre face de Sylvie en 1966 : non pas la star, mais la chanteuse capable d’endosser la mélancolie la plus douce.
Et en décembre 1966, elle la chante deux fois à la télévision : le 24 décembre dans Vient de paraître, puis le lendemain dans 16 millions de jeunes (émission qui documente également l'enregistrement de Par amour, par pitié). On est loin pourtant du Petit Papa Noël.
Ce n’est pas le morceau le plus célèbre de son répertoire. Mais c’est l’un de ces titres qui rappellent pourquoi on aime fouiller dans les discographies. Et surtout, c’est un autre moment de grâce dans l’année 1966 de Sylvie. Une année où, entre deux robes scintillantes et trois hits, elle enregistrait aussi des chansons qui pleurent doucement quand personne ne les écoute.
Merci à nouveau à Benoît Cachon pour son livre "Dictionnaire des chansons de Sylvie Vartan" et au podcast Vartanrama pour leurs précieuses informations.



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