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Sister Sledge - He’s the Greatest Dancer : quand Chic invente le dandy disco


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La scène s’ouvre en 1979, sur une piste de danse qui ressemble à un défilé haute couture : Halston, Gucci, Fiorucci. Les pantalons pattes d’eph flottent comme des voiles de caravelle, les chemises brillent d’un polyester capable d’illuminer une centrale électrique, et au fond, surgit “lui”. On dirait le mannequin officiel du printemps-été version Philadelphie, sauf qu’ici, chaque pas est un solo de batterie. Et les quatre sœurs Sledge, encore plus sages que des choristes de gospel mais prêtes à se frotter au groove de Chic, lâchent en chœur : He’s the Greatest Dancer. D’un coup, un inconnu devient demi-dieu et patron de la piste.


Les quatre sœurs de Philadelphie


Avant de créer l’hymne officieux du Studio 54, Sister Sledge, c’est une histoire de famille comme seul Philadelphie sait en pondre : Debbie, Joni, Kim et Kathy, filles d’un danseur de Broadway et d’une actrice, coachées par leur grand-mère lyrique qui devait leur faire répéter les gammes entre deux parts de pumpkin pie. Elles chantent dans l’église du coin, s’appellent d’abord “Mrs Williams’ Grandchildren” (si ça, ce n’est pas le nom le moins disco de l’histoire…), puis montent un groupe.


Dans les seventies, elles galèrent un peu : un premier single, Mama Never Told Me, qui cartonne au Royaume-Uni (preuve que les Anglais ont toujours eu un faible pour les voix soul), des concerts jusqu’au Japon, un détour par le Zaïre en première partie de James Brown pendant le “Rumble in the Jungle”. Bref, elles bossent dur, mais le succès mondial tarde à venir.


Et c’est là qu’Atlantic Records les présente à deux types en costards : Nile Rodgers et Bernard Edwards.


Chic entre en scène : deux dandys pour les gouverner tous


Imaginez deux gars dans un loft de Manhattan, en train de discuter mode et arrangements musicaux comme d’autres débattent du dernier match de base-ball. Nile et Bernard ont fondé Chic, groupe taillé sur mesure pour les clubs sélects. Leur devise : l’élégance funk, avec des riffs de guitare nets et une basse qui groove.


Quand Atlantic leur refile Sister Sledge (juste avant Sheila et bien avant Diana Ross et Madonna), ils ne les connaissent pas. Ils n’ont même pas pris un café ensemble. Ils écrivent We Are Family après avoir juste entendu le patron du label décrire les filles (“quatre sœurs, unies, talentueuses, pas connues mais prometteuses”). Et hop, chanson culte.


Mais avant ça, ils leur confient He’s the Greatest Dancer. Sauf que les sœurs, très croyantes, bloquent sur un détail : “Please take me home”, ça sonne pour elles comme une invitation un peu trop coquine. Elles proposent de modifier en “please don’t go home”. Nile et Bernard refusent. “Écoutez, les filles, on connaît ce monde-là, les discothèques, les mecs en Gucci, c’est nous qui écrivons le scénario.” Elles chantent. Le reste est histoire.


Le dandy disco, star de 1979


He’s the Greatest Dancer, c’est un portrait en technicolor d’un homme qui danse si bien que les néons se mettent au diapason. La chanson ne raconte pas grand-chose, mais elle dit tout : la séduction par le style, le costume de designer comme armure moderne. En 1979, citer des marques de luxe dans une chanson, c’est révolutionnaire. Aujourd’hui, c’est devenu une tradition hip-hop, mais la première graine a été plantée sur un dancefloor disco.


Et puis il y a ce groove. Bernard Edwards claque sa basse, Nile Rodgers gratte la guitare en contretemps, Tony Thompson frappe la batterie avec la précision d’un métronome suisse. Résultat : le morceau file à la première place du classement R&B, numéro 9 au Billboard Hot 100, et squatte toutes les platines des DJs new-yorkais.



Et puis arriva We Are Family


Sauf qu’il y a un twist : He’s the Greatest Dancer cartonne (sauf en France), mais quelques semaines plus tard, We Are Family sort et explose tout. Hymne de la sororité, chant de stade (les Pittsburgh Pirates l’adoptent et gagnent la World Series), slogan féministe et gay-friendly avant l’heure, la chanson devient un symbole universel. Kathy Sledge n’a que 19 ans quand elle l’enregistre en une seule prise.


Résultat : l’album We Are Family devient un classique instantané. On y trouve aussi Lost in Music et Thinking of You, deux joyaux disco-soul qui ont ensuite fait les beaux jours des remixes dans les années 80 et 90. Nile Rodgers dira plus tard que c’est peut-être le meilleur album qu’il ait jamais produit.


Sister Sledge, la suite du feuilleton


Les sœurs Sledge ne sont pas qu’un chapitre du disco. Après 1979, elles enchaînent les collaborations : un album produit par Narada Michael Walden (All American Girls), un tube inattendu au Royaume-Uni avec Frankie en 1985, puis un retour en grâce grâce aux remixes de leurs titres dans les années 90. Elles chantent pour Bill Clinton, puis pour le pape François (imaginez les nonnes en train de se déhancher sur We Are Family…).


Aujourd’hui, les héritiers continuent l’aventure sous divers noms (Sister Sledge ft. Sledgendary, feat. Kathy Sledge…). Joni est partie en 2017, mais son fantôme bienveillant continue de planer sur chaque refrain.


Pourquoi on l’aime toujours


He’s the Greatest Dancer n’est pas seulement une photo de mode sonore des années disco. C’est une chanson qui résume tout ce qu’était la fin des seventies : le culte du style, la danse comme religion, les marques comme totems, et cette idée folle qu’on pouvait changer le monde en tournoyant toute la nuit sur une piste de discothèque.


C’est aussi le moment où Sister Sledge passe de “quatre filles talentueuses de Philly” à “icônes mondiales”. Et où Nile Rodgers et Bernard Edwards prouvent qu’ils sont non seulement de grands musiciens, mais aussi de fins sociologues de la fête.


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