Can’t Nobody Love Me Like You Do – Anita Ward, la cloche et le désespoir
- L'Agent Secret des Chansons

- 24 août
- 5 min de lecture

Ah Anita Ward. Si vous connaissez son nom, c’est forcément à cause d’une cloche. En 1979, le monde entier chantait Ring My Bell en remuant les hanches. Mais une semaine après sa sortie à Chicago, on brûlait les disques disco au stade des White Sox. Timing raté pour Anita Ward, mais qui a pu malgré tout avoir son quart d’heure de gloire…
Commençons par le début. Anita n’était pas une diva programmée dans un labo de Miami avec trois producteurs requins et une ligne de coke réglementaire. Non, Anita Ward était institutrice à Memphis, diplômée en psychologie, du genre capable d’expliquer les sous-personnalités freudiennes aux gamins de 10 ans. Mais surtout, elle chantait le gospel, avec cette voix claire, un peu nasillarde, pile le genre de timbre qui peut transformer un dimanche pluvieux en dancefloor.
L’homme qui voulait faire sonner la cloche
C’est Frederick Knight qui repère Anita. Knight n’est pas n’importe qui : il a écrit et interprété I’ve Been Lonely for So Long (un bijou de soul fatiguée sorti chez Stax), et ses chansons ont été reprises par Ben E. King ou Loleatta Holloway. Un type sérieux, donc. Il signe Anita sur son label Juana, et ensemble, ils préparent un album (Songs of love) de ballades bien sages… Sauf qu'il se dit soudain : « Attends, il faut un petit morceau disco pour ferrer les DJs. »
La suite est connue : Ring My Bell, une chanson à l’origine destinée à Stacy Lattisaw, onze ans, et qui parlait de coups de fil entre ados boutonneux. Oui, onze ans. Autant dire que la première version ressemblait plus à une comptine de Muppets qu’à un futur hymne de dancefloor. Mais Lattisaw part chez un autre producteur (elle sortira son mega tube Jump to the beat l'année d'après) et Knight réécrit le texte dans une version plus adulte. L'expression « tu peux sonner ma cloche » est pourtant interprétée comme une image à double sens. Anita rechigne (« je suis pieuse, monsieur Knight, je ne vais pas sonner des cloches lubriques »), mais finit par l’enregistrer.
Résultat : jackpot. Numéro 1 partout. Les clubs tournent en boucle cette montée irrésistible avec le fameux « pouw » électronique – une espèce de son d’extraterrestre tombé sur la caisse claire. C’est kitsch, c’est irrésistible, et ça colle instantanément aux tympans. Même Shalamar pique l’idée la même année sur The Second Time Around.
Un miracle… et une malédiction
Problème : Ring My Bell sort donc pile avant la Disco Demolition Night. Pour situer, imaginez un stade de baseball rempli de fans de rock FM lançant leurs 45 tours de Gloria Gaynor et des Bee Gees dans un feu de joie sponsorisé par une radio locale. L’anti-disco hystérique. En clair, Anita décroche le gros lot… au moment exact où le public décide que le disco est un virus à éradiquer. Pas de bol.
Et pourtant, derrière la cloche, il y avait une vraie chanteuse. Une fille avec du coffre, du gospel dans l’âme, et une envie sincère de bien faire. D’où son deuxième album quelques mois plus tard, Sweet Surrender. Tout un programme : un disque qui aurait dû la confirmer… et qui va surtout confirmer que l’âge d’or du disco est fini.
Can’t Nobody Love Me Like You Do : le cri du cœur ignoré
Parlons donc du morceau du jour, Can’t Nobody Love Me Like You Do. Déjà, niveau titre, c’est clair : Anita n’a pas engagé Roland Barthes comme parolier. Mais il y a un charme naïf là-dedans. La chanson, écrite encore par Frederick Knight, commence comme un mid-tempo puis se poursuit par un très efficace disco-soul où Anita répète comme un mantra que personne, non personne, ne peut l’aimer comme toi. Toi qui ? Mystère. Peut-être le DJ qui refuse de passer autre chose que Ring My Bell.
Musicalement, ça reste bien fichu : une basse ronde, quelques nappes sucrées, un groove assez élégant, moins tape-à-l’œil que la cloche mais toujours dans le mood « dancefloor chic avec boule à facettes ». Anita chante avec cette sincérité un peu fragile, ce mélange de ferveur gospel et de pop disco qui aurait pu marcher… si le public n’avait pas déjà tourné la page.
Résultat : flop total. Pas de classement, pas de tournée mondiale, pas de miracle. Can’t Nobody Love Me Like You Do rejoint la grande fosse commune des singles disco sortis en 1980, coincés entre la mort du genre et la naissance du post-disco funky.
Le syndrome de la cloche unique
C’est le drame des artistes « one-hit wonder » : le succès écrasant devient une malédiction. Tout ce qu’Anita a tenté après Ring My Bell a été jugé selon ce standard. Don’t Drop My Love, son autre single un peu funky ? Boudé. Make Believe Lovers ? Personne n’a cru à l’illusion. Can’t Nobody Love Me Like You Do ? Silence radio.
Et pourtant, il faut être honnête : si Ring My Bell reste l’évidence absolue (au point d’être recyclé dans 100 compilations « Disco Fever » vendues à la station-service), Can’t Nobody Love Me Like You Do a un petit charme rétro qu’on redécouvre aujourd’hui avec tendresse. C’est un morceau qui danse moins sur la table que son aîné, mais qui pourrait accompagner un trajet en rollers fluorescents sous les néons du centre commercial.
La chute et l’après
L’histoire d’Anita devient ensuite presque shakespearienne. Contrats foireux, argent qui disparaît, troisième album annulé. Et pour ajouter à la poisse : un grave accident de voiture en 1981, fracture du crâne, santé fragile, et la perte de son manager Chuck Holmes. Autant dire que la carrière disco venait de s’éteindre pour de bon.
Elle tentera un retour en 1989 avec Wherever There’s Love, mais le monde dansait déjà sur Madonna et Janet Jackson.
Mais une cloche éternelle
Et pourtant, il ne faut pas pleurer sur le destin d’Anita Ward. Parce qu’avec Ring My Bell, elle a signé un chèque à vie. Ce tube planétaire lui assure une sécurité que beaucoup d’artistes envieraient. Et surtout, elle est entrée dans l’histoire : une institutrice de Memphis devenue, en deux couplets et un « pouw », l’icône d’un genre.
Et Can’t Nobody Love Me Like You Do dans tout ça ? Eh bien, c’est un petit fantôme disco. Une chanson qui rappelle qu’Anita valait plus qu’une seule cloche. Un morceau coincé entre deux époques, mais qui mérite d’être redécouvert.
Et rappelez-vous : il y a ceux qui ont sonné les cloches, ceux qui ont cassé les vinyles, et Anita, qui a survécu aux deux.



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