Charge Plates and Credit Cards : le groove visionnaire de Sheila & B. Devotion
- L'Agent Secret des Chansons
- 5 avr.
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Dernière mise à jour : il y a 5 jours

Fin 1979, Sheila entre dans une nouvelle ère. Après le timide No, No, No, No de l’été précédent — qu’on aurait aussi bien pu appeler Non, Non, Non promotion tant il a été snobé — elle sort Spacer. Ce tube intergalactique est produit par les rois du disco new-yorkais, Nile Rodgers et Bernard Edwards, les génies derrière Chic, auteurs de Le Freak, Good Times et des tubes de Sister Sledge (avant ceux de Diana Ross).
Avec Spacer, Sheila est propulsée dans une autre dimension : celle d’une diva disco, à l’aise dans les clubs de Manhattan comme dans les charts européens.
Puis arrive en mai 1980 l’album King of the World. Avec un tel titre, on s’attendait à une Sheila conquérante et une avalanche de disco pur jus, dans la lignée des productions de Chic. Résultat ? Exit la disco bon teint, bonjour les guitares funk et l’électro-rock aux accents new wave. Passé l’effet de surprise, pour ma part j’ai vite accroché sur deux titres : Cover Girls… et surtout, Charge Plates and Credit Cards.
Une histoire de cartes de crédit… en avance sur son temps
En 1980, peu de Français savent ce qu’est une carte de crédit. Les “charge plates”, elles, existent depuis le début du XXe siècle aux États-Unis : ce sont de petites plaques métalliques, au nom du client, conservées derrière les comptoirs des grands magasins pour permettre des achats à crédit. C’est ce monde consumériste à l’américaine que dépeint Charge Plates and Credit Cards.
Sheila, avec son French accent so sexy, incarne une fashion victim en pleine frénésie d’achats : Tiffany’s, American Express, emprunts sous faux nom… jusqu’à vouloir acheter la Joconde. Un portrait ironique et lucide d’un monde où la consommation devient une obsession. Avec le recul, le morceau sonne presque prophétique. En 1980, Sheila chantait déjà ce monde à venir — celui des crédits et des surendettements — avec un léger décalage, et même un temps d’avance. Nile Rodgers, encore une fois, avait flairé le vent.
Un groove irrésistible signé Chic
Dès les premières secondes, la basse de Bernard Edwards claque, la guitare funky de Nile Rodgers surgit. Sheila, elle, reste un peu en retrait, voire absente, sous les chœurs des refrains très présents — choix artistique ou précaution linguistique — mais elle est bien là sur les couplets, en vedette de ce titre choc et mordant.
Le morceau ne sera jamais promu en single. Pas de clip, pas de passage télé. Et pourtant, Billboard le désignera comme le meilleur titre de l’album. Les DJs italiens, eux, ne s’y trompent pas : ils le passent en boucle. En France ? Silence radio.
Une aventure musicale inédite
L’histoire de cet album est singulière. Quand Claude Carrère contacte Chic, il ne leur fait écouter aucun morceau. Il leur montre simplement des photos. Rodgers et Edwards, intrigués par le look de cette Française aux allures de top model, acceptent. Ils y voient l’occasion de créer un album-concept, à la croisée du disco, du funk, du rock européen et d’une touche new wave. Ils écrivent notamment Cover Girls et Charge Plates… dans cette veine très mode, très image. Le tout est enregistré à Power Station, le temple new-yorkais du son.
Sheila découvre un autre monde. Fini les directives pesantes de son mentor — prié de rester à la porte du studio avec son thermos de thé et sa “boîte magique” pour enjoliver sa voix. Nile et Bernard, eux, veulent du vrai. Sheila doit chanter bas, comme ils le veulent, et leur faire confiance. Elle accepte. Elle apprend. Et surtout, elle respire.
King of the World : un album audacieux
Sorti au printemps 1980, King of the World est un objet musical élégant et hybride. Funk new-yorkais, touches électroniques, riffs rocks aux accents européens comme Mayday ou Cover Girls, tandis que Don't Go, Your Love Is Good et Misery restent plus proches du son Chic classique. Mais c’est bien Charge Plates and Credit Cards qui est un des sommets de l’album selon de nombreux critiques. Philippe Margotin parlera d’une “métamorphose réussie” pour décrire ce tournant de Sheila, passée de “petite fille française moyenne” à artiste internationale.
Visa pour l’éternité
Aujourd’hui encore, Charge Plates and Credit Cards reste une pépite confidentielle, éclipsée par Spacer, son grand frère spatial. Et pourtant, tout y est : groove implacable, regard ironique sur la société, production léchée, et une Sheila en pleine mutation. Il est temps de lui rendre justice et de la remettre à sa place : tout en haut. En vinyle, en remix, en playlist.
Une chanson pour laquelle on ressortirait sa Visa… avec plaisir.

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