C’est écrit : quand Sheila flirte avec les astres (et avec l’éternité)
- L'Agent Secret des Chansons
- 10 mai
- 3 min de lecture

Il existe des chansons qui, dès les premières notes, semblent chargées d’un destin particulier. C’est écrit, extrait de son album de 1976, en fait partie. Non seulement par ses paroles, qui évoquent la mort, la réincarnation et la force de l’amour au-delà du temps, mais aussi par son histoire — improbable. On y croise Johnny Hallyday, un télégramme envoyé en plein mois d’août, un auteur enfermé dans un bureau, transpirant sur ses couplets, et bien sûr Sheila, qui hérite du tout.
Sheila : toujours plus haut dans le ciel de la variété
En 1976, Sheila est intouchable. Glamour, télévisuelle, calibrée pour la variété d’alors. En décembre sort son album compilation de l’année, mais saupoudré de cinq inédits. Le son est classe, bien produit. Dans les chœurs, les frères Costa. À la guitare, Claude Engel et Slim Pezin, pointures absolues des studios. Sur les plateaux télé, elle brille, habillée par Azzaro.
Mais avec C’est écrit, c’est autre chose. Elle s’empare d’un titre à la tonalité inédite dans son répertoire : une chanson méditative, presque spirituelle.
Johnny, Alice et un drôle de destin
Au départ, C’est écrit, ce n’est pas pour Sheila. C’est pour Johnny. Le texte est signé Sylvain Lebel, qui livre au chanteur une chanson noire, désenchantée, presque crépusculaire :
« Il est écrit au fond des astres que je ne vivrai pas 100 ans, que je mourrai dans un palace comme le dernier des manants. »
Imaginez Johnny, debout, seul au micro, chantant ces mots comme une prophétie rock.
Alice Dona, compositrice fidèle à Serge Lama mais très active par ailleurs, signe la musique. Elle enregistre une maquette, avec Jean-Pierre Goussaud à la guitare électrique, pendant que Lebel gratte sa guitare 12 cordes. Mais le sort s’en mêle : problème d’édition. Le morceau est un temps envisagé pour figurer en face B de Requiem pour un fou, puis il disparaît dans un tiroir. Fin de l’histoire ? Pas tout à fait.
Un télégramme, de la sueur, et un peu de magie
C’est là que Claude Carrère entre en scène. Il flaire le potentiel, mais pas tel quel. Trop noir pour Sheila. Il envoie donc un télégramme à Lebel — alors en Bretagne — et lui demande de réécrire en urgence. Fini la mort dans un palace, place à l’amour éternel et à la renaissance. Lebel revient précipitamment à Paris et s’enferme dans un bureau. Carrère passe régulièrement le voir, le presse, propose ses idées.
Résultat : une Sheila qui chante non plus la fin, mais le recommencement : « Je partirai sans gloire peut-être, un peu comme se meurt l’été. Je partirai pour mieux renaître, car j’en suis sûre, je reviendrai. »
Plusieurs orchestrations sont tentées, sans succès. Finalement, c’est la version de travail d’Alice Dona, une bande en deux pistes qui est retenue pour l’album. Un choix inattendu, comme un retour à l’essentiel.
L’amour qui brûle… doucement
L’album L’amour qui brûle en moi sort donc en fin d’année, emballé dans une pochette cartonnée grand luxe. Ce n’est pas une révolution, mais un disque de variété soigné, avec quelques très beaux titres planqués entre les évidences : Flagrant délit de tendresse, Une fille ne vaut pas une femme, et puis ce bijou discret : C’est écrit.
Le disque rencontre un succès honorable. Le public suit, même si certains critiques parlent d’un essoufflement. Mais à bien y regarder, Sheila s’aventure vers autre chose. Elle ose la mélancolie, le questionnement. Une artiste qui ose chanter qu’elle ne vivra pas cent ans, mais qu’elle croit en quelque chose de plus grand.
Et trente ans plus tard en 2006, C’est écrit renaît — comme promis dans ses paroles — lors du concert Enfin disponible au Cabaret Sauvage. Sheila l’interprète en version guitare-voix. Frissons garantis. Et c’est ce titre, devenu emblématique, qui donne son nom à l’album live issu du concert.
Une pépite, écrite dans les étoiles
Chanson discrète mais précieuse, C’est écrit est certainement un des titres les moins attendus de sa discographie de l’époque. Sheila y touche à quelque chose d’universel, de profondément humain : le sentiment qu’il y a plus que ce qu’on voit. Que l’amour, même quand tout s’efface, continue quelque part.
Et si tout cela, au fond, était… écrit ?
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