Bette Midler – Millworker : quand la Divine Miss M s’invite à l’usine
- L'Agent Secret des Chansons

- 21 sept.
- 4 min de lecture

À la fin des années 70, Bette Midler est à un carrefour : Broadway l’a faite star, les disques l’ont installée, les talk-shows l’adorent… mais on lui reproche d’être une bête de scène impossible à capturer sur vinyle. Et, il faut bien l’avouer, après l’explosion de The Divine Miss M (1972), la diva traîne quelques galettes plus tièdes.
Heureusement, en 1979, elle retrouve un allié de poids : le producteur Arif Mardin, artisan de son premier triomphe. Ensemble, ils sortent Thighs and Whispers. Rien que le titre est un gag : un clin d’œil paillard au film d’Ingmar Bergman Cris et chuchotements.
Disco, cuir et hommes mariés
Le disque est évidemment marqué par la fièvre disco. Studio 54 règne en maître et Midler s’essaie au genre. On y trouve My Knight in Black Leather, hymne hilarant à un prince charmant qui sent… la voiture neuve. Un tube mineur mais parfait pour imaginer Miss M débarquer au bras d’un biker qui a volé le déodorant de son auto.
Il y a aussi Married Men, qu’elle partage à l’époque avec Bonnie Tyler, version disco-cynique d’un manuel de survie sentimental : ne touchez pas aux hommes mariés, ils ne divorcent jamais... Et puis Big Noise from Winnetka, recyclage swing qui deviendra plus tard un de ses numéros de scène fétiches. Bref, la Midler fait feu de tout bois, parfois pour le meilleur, parfois pour le « mais pourquoi ? ».
Et au milieu de cette fête un peu clinquante, surgit un ovni : Millworker.
James Taylor au pays des machines
Écrite par James Taylor pour la comédie musicale Working (tirée du livre de Studs Terkel sur la vie ouvrière), Millworker n’est pas une chanson glamour. On est loin des paillettes de Manhattan : une ouvrière de Nouvelle-Angleterre, mariée trop jeune à un pochard, veuve trop tôt, condamnée à passer sa vie devant une machine à coudre. Trois gosses à nourrir, des mains usées, des rêves envolés. Pas vraiment le scénario d’un samedi soir au Palace.
Taylor chante cette histoire avec la sobriété qui le caractérise. Mais Bette, elle, décide de l’incarner. Pas de disco, pas de cuivres, pas de chœurs hystériques. Juste un piano, un violoncelle et une voix qui joue à se briser. C’est simple, c’est sobre, et c’est peut-être une des choses les plus bouleversantes qu’elle ait enregistrée.
Bette au chômage technique ? Pas vraiment
Le miracle, c’est que Midler, reine du cabaret et de la blague graveleuse, parvient à faire croire qu’elle a trimé toute sa vie dans une filature du Massachusetts. Évidemment, on sait qu’elle vient d’Hawaï, qu’elle a fait ses classes dans les clubs gays de New York. Mais elle chante Millworker comme si elle avait des ampoules aux mains et trois bouches à nourrir.
C’est ça, le génie de la Divine Miss M : elle peut hurler un gospel trash un soir, et le lendemain, chuchoter la lassitude d’une ouvrière imaginaire sans que personne ne rie. Enfin, presque. Parce que soyons honnêtes : l’idée de Bette Midler en tablier gris, c’est aussi crédible que Cher en factrice. Mais à l’écoute, on y croit. Elle casse son armure, elle laisse tomber le strass, et soudain, c’est bouleversant.
Un album en équilibre instable
Thighs and Whispers, sorti quelques semaines avant le film The Rose, est un drôle d’album. Pas un triomphe commercial (numéro 65 au Billboard, autant dire la seconde division), pas un chef-d’œuvre non plus. Mais il a ce charme des disques inclassables : on passe du swing aux slows de larmes, du disco à la chanson engagée. Comme si Bette testait toutes les perruques de son armoire pour voir laquelle lui allait le mieux.
Les critiques, eux, n’ont pas été tendres. Rolling Stone a rappelé que Midler, comme Ethel Merman ou Liza Minnelli, est une bête de scène, pas une chanteuse de studio. Et la presse canadienne s’est payé sa tête en disant qu’elle cherche toujours « qui est Bette Midler ». Réponse : Bette Midler, c’est tout ça à la fois. Un clown tragique, une diva disco, une chanteuse de cabaret, et parfois, une ouvrière fatiguée au détour d’une chanson.
Une pause avant la tempête
Car derrière cet album un peu bancal, se prépare l’ouragan : The Rose. Quelques mois plus tard, Midler crèvera l’écran dans le rôle de la chanteuse autodestructrice, décrochant un Golden Globe et une nomination aux Oscars. Et là, plus personne ne se demandera si elle est crédible en chanteuse dramatique. Millworker était déjà la preuve qu’elle pouvait tenir l’émotion sans artifice.
Au fond, si l’on retient une seule chose de Thighs and Whispers, c’est bien Millworker. Parce qu’elle tranche avec tout le reste, parce qu’elle met Midler à nu, et parce qu’elle montre que derrière la diva déchaînée, il y a une interprète capable de chanter la lassitude, la solitude et l’usure des vies ordinaires.
Et ça, c’est bien plus fort que n’importe quelle boule à facettes.




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