top of page

Bette Midler – "Delta Dawn" (live) : drame en robe à paillettes


ree

Il y a des chansons qu’on écoute comme un soap : elles commencent dans le velours, montent en larmes et se terminent en explosion de mascara. Delta Dawn fait partie de celles-là. Et dans la version live de Bette Midler, c’est encore plus vrai : on entend les violons pleurer, le public retenir son souffle et Bette elle-même balancer les dernières notes comme on balance un amant par la fenêtre. Bref, une tuerie, mais avec des chœurs.


Tout commence pourtant en douceur, avec une histoire de fleur fanée et de rendez-vous mystique dans le Tennessee. Mais très vite, le vernis craque. Delta, 41 ans, sa valise à la main, traîne dans Brownsville en robe du dimanche, à attendre un homme qui ne viendra jamais. Elle est belle, folle, et probablement la cousine oubliée de Blanche Dubois. Et Midler, dans cette version enregistrée live à Cleveland en 1976 pour son album Live at Last, s’empare de cette héroïne fanée comme d’une tragédienne grecque perdue dans un cabaret burlesque. C’est grand. C’est drôle. Et c’est tragique.


Une chanson hantée (et pas que par le public gay)


Avant de devenir un classique de la Midler, Delta Dawn a eu plusieurs vies. Une chanson country à l’origine, écrite par Alex Harvey et Larry Collins, et inspirée de la mère d’Harvey — morte dans un accident de voiture que son fils a longtemps cru être un suicide. Ambiance.


Tanya Tucker l’enregistre en 1972, à 13 ans (!), et en fait un tube country. L’année suivante, Helen Reddy grimpe au sommet des charts US avec une version pop un peu céleste, qui donne à Delta des airs de sainte déchue. Sylvie Vartan, elle, y voit une occasion d'y mettre sa patte vocale et interprète la chanson en français : Toi le garçon, adaptée par Michel Mallory. Pourquoi pas. Mais revenons à Bette.


Divine Miss M, drama queen et queen tout court


Quand Bette Midler reprend Delta Dawn dans son premier album The Divine Miss M en 1972, c’est déjà une révélation. Elle y injecte ce mélange inimitable de cabaret éraillé, de pathos contrôlé, de gouaille juive new-yorkaise et de clins d’œil appuyés. Elle chante le chagrin, mais avec des gants à plumes. Et on adore ça.


Mais c’est sur scène que Delta Dawn prend toute sa mesure. Dans Live at Last, double album culte sorti en 1977, la chanson arrive en milieu de programme, comme une pause poignante au milieu d’un déluge de blagues sur les œufs au plat, de monologues déglingués et de medleys improbables entre Ringo Starr, Tom Waits et Bertolt Brecht (oui, tout ça dans le même concert).


La version de Delta Dawn est longue, ample, avec cette intro parlée où Midler plante le décor comme on ouvre un rideau rouge : une femme paumée, une valise à la main, un amour disparu, une ville trop grande. La voix monte, grince, la chanson finit en rythm'n blues endiablé. Et on la suit.


Une diva en route vers l’Amérique profonde


En 1977, quand sort Live at Last, Midler est déjà une star, une icône queer, une comédienne explosive. Elle a débuté dans les clubs gays de New York, a été adoubée par Johnny Carson, a raflé un Tony Award pour sa revue Clams on the Half Shell, et s’apprête à cartonner au cinéma avec The Rose. Bref, elle n’a plus rien à prouver, mais elle le prouve quand même – avec panache.


Le live, enregistré à Cleveland (ville où on rigole peu, paraît-il, sauf quand Bette débarque), est un condensé de ce qu’elle fait de mieux : provoquer, émouvoir, surprendre. Elle enchaîne les reprises brillantes (Shiver Me Timbers de Tom Waits, Up the Ladder to the Roof des Supremes), balance des blagues salaces de Sophie Tucker, et incarne Vicki Eydie, lounge singer imaginaire, dans un sketch qui tient du one-woman-show halluciné.


Quand la paillette touche juste


Ce qui est beau avec Live at Last, c’est qu’il capte Midler dans toute sa complexité. Elle est drôle, mais pas que. Folle, mais pas idiote. Glamour, mais cabossée. On dirait une héroïne de Tennessee Williams tombée dans un bar de Fire Island.


Son énergie est contagieuse, son besoin d’amour aussi. Chaque chanson devient une déclaration : à la musique, au public, aux femmes oubliées, aux hommes perdus. C’est kitsch, c’est parfois vulgaire, mais c’est toujours juste.


Et Delta Dawn, au fond, c’est son autoportrait inversé. Une femme qui attend encore un miracle, maquillée comme pour Noël, mais qui continue d’avancer. Une sorte d'ange country, version bathhouse.


Un album à redécouvrir d’urgence


Live at Last, c’est aussi un petit miracle discographique. À une époque où les doubles albums live servaient à remplir les caisses et flatter l’ego, celui-ci documente vraiment une performance unique. Pas un best-of, mais une immersion. Un peu comme si on passait la soirée avec elle dans sa loge, entre deux éclats de rire et un solo de trompette.


Bette y revisite ses trois premiers albums, ajoute des inédits (dont You’re Moving Out Today, coécrit avec Carole Bayer Sager), et s’offre même le luxe d’une Story of Nanette, sorte de mini-opéra parlé/chanté sur l’alcoolisme et les cœurs brisés. Du théâtre musical dans un show de variété ? Bette ose. Et ça passe.


Et après ?


Après ce live d’anthologie, Midler continue de creuser son sillon de diva hybride : elle joue dans The Rose, enregistre encore, gagne plusieurs Grammy, Emmy, Tony, Golden Globe, … bref, elle remplit l’étagère.


Mais Live at Last reste, pour beaucoup, le moment où tout se cristallise : la voix, la folie, la tendresse, l’humour, et cette capacité rare à faire rire aux éclats… puis pleurer, une minute plus tard, pour une histoire de fleur fanée.


Delta Dawn, elle ne l’a pas seulement chantée. Elle l’a incarnée. Avec des talons de quinze centimètres et un cœur gros comme ça.


Tu veux du live avec des plumes, de la tragédie et des blagues sur les seins ? Live at Last est ton Graal. Et Delta Dawn en est le diamant noir.


ree

Commentaires

Noté 0 étoile sur 5.
Pas encore de note

Ajouter une note
bottom of page