Bette Midler – Drinkin’ Again : derrière le strass, la voix nue.
- L'Agent Secret des Chansons
- 11 juin
- 3 min de lecture

En 1973, après avoir dynamité la scène américaine avec The Divine Miss M, Bette Midler revient là où on ne l’attendait pas forcément. Son deuxième album, Bette Midler, sorti en novembre de la même année, est moins clinquant, moins facile à étiqueter. Il est aussi, et surtout, plus profond. Il contient une chanson un peu méconnue de son répertoire : Drinkin’ Again. Et là, d’un seul coup, la diva flamboyante se fait femme brisée. L’interprète de Boogie Woogie Bugle Boy baisse la garde, s’asseoit au bar, vide un verre (ou plusieurs) et nous laisse entrer dans ses silences.
Torch song, cœur noir
Drinkin’ Again est une torch song pure souche, une de celles où le cœur saigne lentement, sans drame excessif. Écrite par Johnny Mercer (le compositeur aux mille chansons) et Doris Tauber, la chanson date de 1962. Elle a été interprétée avant Bette par Dinah Washington, Frank Sinatra et Aretha Franklin. Autant dire qu’il faut des épaules pour l’endosser. Et Midler, justement, les a larges. Elle ne cherche pas à briller, ni à jouer la comédie du chagrin. Elle murmure son désespoir dans un coin sombre de l’album, comme si on n’était pas censé entendre. Et pourtant, on entend tout.
La chanson est une confession. Une confession alcoolisée. « I'm drinkin’ again / And thinkin’ of when you loved me »... L’alcool comme pansement d’une histoire finie, le vague espoir qu’un amour disparu revienne en titubant. Le texte n’est pas une grande scène d’opéra. C’est un lendemain de fête, un tabouret bancal et l’ombre de quelqu’un qui ne reviendra pas.
Une palette d’émotions plus vaste qu’un cabaret
Si Midler s’était contentée de refaire le même album que The Divine Miss M, on ne lui en aurait pas voulu. Après tout, ce premier opus a cartonné : tubes, standing ovations, Grammy. Mais non. Bette Midler (l’album) est un pas de côté. Plus jazzy, plus bluesy, plus introspectif. La production est toujours signée Barry Manilow, épaulé cette fois par le génial Arif Mardin. On sent une volonté de creuser autre chose. L’album flirte avec la soul, le boogie-woogie, les standards classieux, les détours arty.
Drinkin’ Again y fait donc figure de pièce maîtresse invisible. Elle n’est ni mise en avant, ni exploitée comme single. Et quand on tend l’oreille, on découvre une femme qui sait habiter une chanson avec émotion. En ce sens, Drinkin’ Again annonce déjà The Rose, la bande originale culte qu’elle enregistrera six ans plus tard et où elle déploiera, cette fois sans détour, toute sa puissance émotionnelle.
L’album Bette Midler : peu de tubes, mais beaucoup d’audace
Le reste de l’album est à l’image de Drinkin’ Again : un mélange hétéroclite mais tenu, entre hommages aux classiques et clins d’œil contemporains. On y trouve Skylark (Johnny Mercer encore, décidément), somptueux slow jazz qui donne envie de marcher lentement dans Central Park en automne. On y entend Surabaya Johnny de Brecht et Weill, incantation grinçante d’une femme trahie. Il y a même une reprise de I Shall Be Released de Dylan, où Midler glisse une touche de gospel sans jamais forcer.
Et puis bien sûr, on a droit à une relecture du In the Mood de Glenn Miller, version clin d’œil rétro et qui sera le seul hit de l’album. Et un medley hommage à Phil Spector, avec Da Doo Ron Ron et autres joyeusetés girl group – un terrain sur lequel Bette est comme un poisson dans l’eau. Des bulles du champagne, entre deux gorgées de whisky.
Une production haut de gamme
Les musiciens convoqués sur ce disque forment une dream team de studio : Steve Gadd, Bernard Purdie, Don Grolnick, Hugh McCracken, Chuck Rainey, Will Lee... Et pourtant, malgré ce casting trois étoiles, l’album reste modeste dans ses intentions, sans plan marketing évident. Une démarche presque artisanale, où le souci du beau passe avant celui de la rentabilité.
Certains critiques lui reprocheront de ne pas avoir visé les sommets des classements, de ne pas avoir reproduit le carton de Friends ou Do You Wanna Dance?. Mais à l’écoute, on comprend vite que ce n’était pas l’objectif. L’objectif, c’était de faire un disque sincère, varié, audacieux parfois. Un disque qui traverse les styles sans jamais se trahir.
La bouteille à la mer
En fin de compte, Drinkin’ Again est peut-être la plus belle déclaration d’intention de ce disque. Un moment suspendu, une faille, une vérité fragile. C’est la chanson d’une femme qui ne joue plus la diva mais qui confesse, qui doute, qui craque un peu. Une femme qui, entre deux éclats de rire sur scène, se laisse aller à pleurer dans son verre.
Et c’est sans doute ça qui fait de Bette Midler une grande interprète : cette capacité à incarner la légèreté comme le désespoir, le burlesque comme l’authentique. Elle est à l’aise dans le show, bien sûr. Mais elle est sublime quand elle se met à nu.
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