Sheila et l’Olympia : je t’aime, moi non plus. Épisode 2 : 1989 – Adieu, rideau rouge.
- L'Agent Secret des Chansons
- 28 juin
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 juil.

C’est l’histoire d’une idole qui voulait juste monter sur scène et qui n'a pas pu. Pas faire de la politique, pas refaire le monde. Juste chanter, quoi. Et quand enfin Sheila atteint l’Olympia, après vingt-cinq ans de carrière, ce n’est pas pour poser ses valises. C’est pour faire… ses adieux.
L’Olympia 1989 : la consécration... façon coup de théâtre
1989, Sheila annonce douze dates à l’Olympia pour l’automne. Les fans sont en ébullition, certains posent des RTT bien avant l’invention des RTT. L’idole yéyé devenue reine disco, icône gay et toujours chouchoute des mamans, va enfin fouler la scène mythique où Johnny, Piaf et même Chantal Goya sont déjà passés. Il était temps.
Mais au lieu de venir fêter ça avec cotillons et champagne, Sheila a une autre idée : dire au revoir. Non mais sérieusement, qui fait ça ? Monter à l’Olympia pour claquer la porte derrière soi ? C’est comme si Beyoncé faisait Coachella pour annoncer qu’elle va ouvrir une boulangerie bio… On peut se moquer gentiment maintenant, mais à l’époque le moment et la décision furent intense, pour elle comme pour nous.
Le spectacle, mis en scène par Yves Martin et accompagné par un orchestre dirigé par Yann Benoist, était découpé en deux actes :
Yéyés et graffitis vintage
Le premier acte est un clin d’œil aux années yéyé et démarre avec Vous les copains, dans une ambiance rétro chic — entendez : des faux murs de briques, des graffitis "Johnny", "Sylvie" et "Dick" écrits comme dans une cour de collège de 1964. Sheila est en robe bustier, entourée d’un orchestre, de choristes et d’un enthousiasme palpable qui cloue le bec à tous ceux qui l’avaient enterrée trop vite. Elle enchaîne les tubes sixties comme d’autres enfilent les perles : L’école est finie, Première surprise-partie, Bang Bang (en version méditative sur une marche de scène), une reprise de Put Your Head on My Shoulder, et même Just a gigolo, avec les choristes pour une choré improvisée.
On applaudit. On rit. On chante. On se dit que la soirée va être joyeuse. Ah, les innocents...
Du disco aux sanglots
Pour le second acte, changement d’ambiance. Sheila revient en noir et blanc, avec une silhouette façon rock sobre, body de dentelle compris. Elle attaque le répertoire plus "mature" : Monsieur Vincent (hommage arty à Van Gogh), L’écuyère (chantée suspendue à un trapèze), Je suis comme toi, Le dieu de Murphy, Pour te retrouver, Partir, Le tam-tam du vent et l’inévitable Spacer qui transforme l’Olympia en mini-club Saint-Tropez.
Jamie Costa, sa chorégraphe fétiche, déboule pour quelques pas sur Glori Gloria, qui embrase la fin du show comme un hymne.
La salle est debout, tout le monde tape dans les mains. Tout va bien.
Jusqu’à ce que Sheila revienne, cette fois en jean et t-shirt blanc. Quand une chanteuse qui vient de traverser plusieurs décors en tenues de créateurs arrive habillée "simple", c’est qu’elle a un message grave…
Et là, elle balance :« Il y a deux choses difficiles à dire dans la vie : je t’aime… et je pars. »
Pardon ?
L’adieu qui fait mal (même à la gorge)
Et là, elle le fait vraiment : elle chante Je suis venue te dire que je m’en vais, la voix pleine de sanglots. Le public hurle "Nooooon !" Certains pleurent (moi y compris). D’autres refusent d’y croire. Sheila est en larmes. Et ce n’est que le premier soir.
Car oui, elle va refaire ça tous les soirs. Le même discours, la même chanson de Gainsbourg, la même émotion collective. L’Olympia devient le théâtre d’un drame national, chaque soir à 23h.
Le 15 octobre : méga ovation
Le dernier soir, c’est l’hystérie. Plus de 2500 personnes dans une salle prévue pour 2000, les fans collés comme des sardines. Dehors, c’est Antenne 2, La Cinq, des bouquets de fleurs, des pancartes "Sheila reste", bref : une ambiance de canonisation.
Sur scène, l’émotion déborde. Sheila est incapable de chanter Je suis venue te dire... jusqu’au bout. Le public reprend le refrain à sa place, quelqu’un lui passe un mot, elle fond en larmes. Et là, tout le monde chante On est venus te dire que l’on t’aimait. Camus (Jean-Claude, pas Albert) arrive avec une brouette de roses blanches – une pour chaque mois de carrière. Sheila serre des mains, embrasse des joues, et disparaît derrière le rideau. L’orchestre joue Ce n’est qu’un au revoir. Fin.
Un faisceau, une croix, une légende
Une semaine plus tard, en regardant la captation du spectacle, Sheila remarque un détail étrange : deux faisceaux de lumière se croisent au-dessus de sa tête. Elle y voit un signe. Une croix. Certains y voient un effet d’optique, elle y voit une révélation. Et dans un sens, elle n’a pas tort : ce spectacle était son Golgotha... mais aussi sa renaissance, en creux.
Pourquoi cet adieu ?
Parce qu’en 1989, être une idole des années 60 ou 70, ce n’est pas encore "cool". On les respecte... mais de loin. Le monde est à Mylène, à Goldman, à Indochine. Sheila en a marre. Marre de se battre pour exister, marre de se faire juger, qu’on lui demande de faire des maquettes, marre de n’être "que Sheila". Alors elle coupe le son. Elle se barre.
Et pourtant… même si les somptueux décors du Zénith en 1985 étaient incroyables, ce qu’elle a prouvé à l’Olympia, c’est qu’elle n’a besoin que d’une scène et d’un micro. Et que l’émotion passe. Que l’enthousiasme est intact. Que la voix est là. Que le public aussi.
Mais voilà, elle est Sheila, avec ses blessures, ses fragilités et son caractère aussi. Elle fait ce que son coeur lui dicte.
To be continued…
Bien sûr elle reviendra. Elle mettra presque dix ans. En 1998, elle retrouvera l’Olympia, soutenue par un entourage fidèle et des fans au rendez-vous. Elle avait juste besoin d’une pause. Ou d’un clap de fin un peu théâtral. Après tout, on n’est pas Sheila sans un peu de drame, et Dieu sait qu’elle en aura dans sa vie.
Prochain épisode : Sheila, l’Olympia et le retour de la revanche.
(Préparez vos mouchoirs… et vos paillettes.)
Merci au blog On Dit ainsi qu’à Pascal Caldéron pour son livre « De scènes en scènes avec Sheila ».
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