« Old Cape Cod » par Bette Midler : la carte postale en velours (1976)
- L'Agent Secret des Chansons
- 24 mai
- 3 min de lecture

Si vous êtes amateur de dunes, de vent iodé et de villages pittoresques, alors il y a fort à parier que vous tomberez amoureux, comme Bette Midler, de ce bon vieux Cape Cod. Old Cape Cod — chanson culte popularisée par Patti Page dans les années 50 — a trouvé une seconde vie, dans l’univers de la Divine Miss M. Et franchement, on ne s’en plaindra pas.
Dans son troisième album Songs for the New Depression (1976), elle exhume Old Cape Cod des tiroirs de son premier album, pour lui offrir un écrin tout en nostalgie.
Mais cette version-là, qui est un bijou, est coincée entre un disco bancal et une balade de Tom Waits. Allez comprendre.
De Patti Page à Bette Midler : l’odyssée d’un tube iodé
Revenons un peu en arrière. Old Cape Cod naît en 1957, portée par la voix douce et mesurée de Patti Page. Écrite par Claire Rothrock, Milton Yakus et Allan Jeffrey, la chanson est un hommage vibrant — bien que gentiment idéalisé — à la péninsule du Massachusetts. Succès immédiat : disque d’or, hymne non officiel de la région, millions d’exemplaires vendus. Patti Page, qui n’avait jamais mis les pieds à Cape Cod, est propulsée ambassadrice touristique malgré elle. C’est ce qu’on appelle une réussite immobilière chantée.
Bette et les fantômes de son premier album
Mais que vient faire cette carte postale rétro dans l’univers, souvent plus extravagant, de Bette Midler ? Bonne question. Bette enregistre Old Cape Cod pour son tout premier album The Divine Miss M (1972), mais le titre est mis de côté. Trop sage ? Trop peu Barry Manilow, son producteur de l’époque ? Mystère. Quoi qu’il en soit, la chanson dort paisiblement jusqu’en 1976.
À cette époque, Bette traverse un petit désert artistique. Après deux albums acclamés et un départ en fanfare, la diva connaît un creux de vague. Manilow, désormais star à part entière, a quitté le navire, et Bette tente de prendre le contrôle.
Elle coproduit, compose, expérimente. Songs for the New Depression sort après une pause de trois ans. Autant dire une éternité dans le showbiz.
Songs for the New Depression : patchwork sous Prozac
Difficile de qualifier cet album autrement que de kaléidoscope musical. On y trouve :
Un duo improbable avec Bob Dylan sur Buckets of Rain (ça ne marche pas vraiment),
Une reprise disco de Strangers in the Night façon roller-disco (à classer dans les expériences paranormales).
Mais aussi
Un clin d’œil classieux à Tom Waits avec Shiver Me Timbers, mélancolique et touchant (qui sera d'ailleurs un des moment forts de ses futurs concerts),
L’exubérant « Marahuana », hilarant pastiche de revue burlesque où Midler réclame un joint pour oublier un chagrin d’amour. Là, on touche au génie.
Au milieu de cette jungle sonore, « Old Cape Cod » fait figure d’îlot de calme. Une respiration vintage. Loin du pastiche, Bette s’y montre étonnamment fidèle. Elle caresse chaque mot, comme si elle chantait pour elle-même, un verre de vin à la main, en regardant les étoiles au-dessus d’un rivage imaginaire.
Un album en dépression, mais une chanson lumineuse
Là où l’album peine à trouver un fil rouge, « Old Cape Cod » joue la carte de la simplicité. L’arrangement est doux, presque évanescent. La voix de Bette plane, un brin rêveuse, sans fioritures. Le kitsch devient élégance.
Cette version du titre aurait pu être un tube. Elle ne le fut pas. Sortie en single (face B de « Tragedy »), elle passe totalement inaperçue. Mauvais timing, mauvais marketing, ou juste un monde pas prêt à retomber amoureux d’un air d’un autre temps…?
Alors pourquoi alors en parler ici ? Déjà parce que cette chanson m'a accompagné en douceur depuis des années. Et parce que Bette Midler, sur « Old Cape Cod », choisit la retenue, en réussissant là où bien d'autres échouent : réanimer un standard sans l’alourdir de modernité, sans le trahir non plus. Juste en le chantant avec cœur. Comme si elle y croyait vraiment. C’est peut-être ça, la magie.
Un détour obligé
Oui, Songs for the New Depression est certainement un album bancal, peut-être trop ambitieux et diversifié. Mais au milieu, « Old Cape Cod » brille comme un coquillage oublié sur la plage. Un petit miracle, doux et salé. Et si vous tendez l’oreille, vous entendrez peut-être, au loin, les cloches d’une église résonner sur la baie. Vous êtes déjà, comme moi à Provincetown pendant l'été 1980, tombé amoureux de ce vieux Cape Cod.
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