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Nuit d’été – Françoise Hardy et la saison des chansons oubliées


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Il y a des faces B qui ressemblent à des fins de soirée : discrètes, effacées par la lumière des tubes, mais qui laissent une impression durable à qui a tendu l’oreille. Nuit d’été fait partie de ces chansons-là. Sortie en 1972, au dos de La Berlue, c’est une carte postale ironique, presque nonchalante, d’un été où l’on bronze plus qu’on ne vit, où l’on se parfume plus qu’on n’aime.


1972 : Hardy en transition


Nous sommes en 1972. Françoise Hardy vient d’enregistrer l’album Et si je m’en vais avant toi (alias L’Éclairage pour les puristes). C’est son treizième album, et il marque une étape. Après l’élégance feutrée de La Question (1971), chef-d’œuvre absolu mais bide commercial, Hardy tente autre chose : un son plus rock, plus électrique, nourri des studios londoniens et de musiciens capables de transformer ses maquettes en bijoux rythmiques. Elle y chante L’Éclairage, Où est-il ?, Le Soir, Prisons… et même Jacques Dutronc avec Cafard.


Pourtant, malgré la qualité, le disque ne décolle pas. Le public français n’est pas prêt, ou peut-être trop distrait. Hardy, elle, choisit ses musiciens, ses chansons, prend ses risques artistiques. Mais Sonopresse, sa maison de disques, commence à trouver la note un peu salée. Ce sera son dernier album pour ce label avant de basculer chez WEA et d’offrir au monde Message personnel en 1973.


C’est dans ce contexte que sort le seul 45 tours extrait de l'album. Face A : La Berlue, chanson courte et nerveuse, toute en auto-dérision. Face B : Nuit d’été, chanson rare, jamais intégrée à un album, mais qui condense tout l’esprit caustique et détaché de Hardy à l’époque.


Nuit d’été : le défilé des vacanciers en carton


Dès les premières paroles, on sent l’ironie sous-jacente.


Blue jeans au clair de lune, smoking le long des dunes


Paroles banales, chanson pas originale, nuit d’été.


C’est presque un manifeste : Hardy se moque de sa propre chanson, souligne son caractère « banal ». Mais derrière ce faux désintérêt, il y a un vrai sens de l’observation. Elle dresse le portrait d’une jeunesse en villégiature, occupée à bronzer le jour, à se maquiller le soir, à flirter la nuit. Tout sonne creux : les cocktails, les citronnades, les sourires, les conquêtes. Les protagonistes sont « un peu fades, fades comme une nuit d’été ».


Les artisans de l’ombre


Derrière la chanson, il y a des complices. Georges Chatelain, producteur, arrangeur, fondateur du mythique studio CBE à Paris, signe la musique. Jean-Max Rivière, déjà auteur de L’Amitié pour Hardy, participe aux paroles. Hardy elle-même complète le tableau, mais chose révélatrice : dans son livre Chansons sur toi et nous, elle ne mentionne même pas Nuit d’été. Comme si la chanson appartenait à une parenthèse, un instant mineur.


Et pourtant. Musicalement, le titre a ce petit balancement doux-amer, typique de ses productions du début des années 70. Pas de clinquant, pas de violons sirupeux, mais une rythmique discrète qui colle parfaitement au thème : une danse molle sous la chaleur, une mélodie qui fait semblant de sourire.



La Berlue en miroir


Face A, La Berlue, est tout autre. Là, Hardy se regarde de l’intérieur.


Pour voir l’intérieur de ma tête


Ses eaux plates, ses tempêtes


Et ses idées reçues…


En moins de deux minutes, elle balance un autoportrait lucide et désarmant. C’est à la fois poétique et pince-sans-rire : il faut des lunettes pour comprendre ce qu’elle a dans le cœur, sinon on prend « la berlue ». Pas étonnant qu’Étienne Daho reprenne la chanson en 1991, en y ajoutant une strophe écrite par Hardy : lui aussi a reconnu dans ces mots une modernité troublante.



On peut alors lire Nuit d’été comme le contrepoint ironique de La Berlue. La première est tournée vers l’intérieur, la seconde vers l’extérieur. L’une ausculte l’âme, l’autre caricature les corps en maillots et smokings. Ensemble, elles forment un diptyque parfait : ce qu’on est, ce qu’on montre.


Un été oublié à la télé


Le 25 septembre 1972, Hardy chante Nuit d’été dans l’émission Midi Trente. C’est la seule fois où la chanson sera interprétée à la télévision. L’événement est presque incongru : voir Hardy, l’icône discrète, interpréter une satire légère sur le plateau de Danièle Gilbert. Mais comme souvent, elle s’efface ensuite. Pas de promo insistante, pas de matraquage. La chanson retombe dans l’oubli.


Il faudra attendre 2023 et la compilation Quelques titres que je connais d’elle pour que Nuit d’été ressorte enfin des tiroirs.


Une dernière saison chez Sonopresse


Avec La Berlue et Nuit d’été, Hardy signe ses adieux à Sonopresse. Ces années (1969-1972) auront été celles de la liberté totale : liberté artistique, mais aussi solitude face à l’échec commercial. Hardy le dit elle-même : ce sont ses albums préférés, mais le public n’a pas suivi.


Quelques mois plus tard, Warner lui offrira une autre aventure, avec Michel Berger et Message personnel. Mais il faut relire ces disques de la période Sonopresse comme les carnets intimes d’une artiste qui se cherche et ose.


Pourquoi redécouvrir Nuit d’été aujourd’hui


Parce qu’elle est drôle, déjà. Parce qu’elle est rare, ensuite : une face B qui n’a survécu qu’en vinyle, puis en compilation confidentielle. En creux, Nuit d’été est une chanson sur le décalage. Le décalage entre ce que l’on montre et ce que l’on ressent. Entre la chaleur des vacances et la froideur des cœurs.


Françoise Hardy, à 28 ans, avait déjà ce don unique : faire d’une banale soirée d’été un miroir de nos vanités. Avec elle, même la vacuité devient poétique — et légèrement piquante.

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