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Françoise Hardy – Dans le monde entier : le slow qui a conquis la planète (et surtout les anglais)


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À première vue, Dans le monde entier ressemble à un slow comme on en faisait des centaines au milieu des sixties : une fille, seule le soir, qui pleure parce que son amoureux est parti. Et pourtant, cette chanson écrite en 1964 par Françoise Hardy elle-même va traverser les frontières, changer de langue, de continent, et faire fondre les cœurs du Yorkshire à Johannesburg. Un miracle doux-amer, comme seule Françoise savait les chanter, sans hausser le ton, sans effet, mais avec cette mélancolie tranquille qui n’appartient qu’à elle.


Une fille du 9e arrondissement, en orbite


En 1964, Françoise Hardy n’est plus tout à fait la jeune fille timide qui chantait Tous les garçons et les filles. Elle est devenue une icône, presque malgré elle. Ses chansons passent sur toutes les ondes et sa silhouette longiligne est copiée jusque dans les internats suisses. Sauf qu’au fond, Françoise reste une étudiante en amour, qui écrit ses chansons comme on écrit des lettres qu’on n’enverra jamais.


À ce moment-là, elle partage sa vie avec le photographe Jean-Marie Périer, qu’elle aime à la folie et dont elle supporte difficilement les absences. « Je pleurais tout le temps », avouera-t-elle plus tard. Lui part en reportage, elle en tournée, et les téléphones des années 60 n’ont rien de romantique : un quart d’heure de grésillements pour entendre un “Allô ?” lointain. Dans le monde entier naît de cette solitude-là, pas celle qu’on invente pour faire joli, mais celle qu’on subit, minute après minute, entre deux avions.


Une chanson pour Elvis, mais en français


Pour la mélodie, Françoise a une idée bien précise. Elle rêve d’un slow “à la Elvis”, de ceux qu’elle écoutait adolescente dans sa chambre. Are You Lonesome Tonight ?, Anything That’s Part of You, Where Do You Come From ?… Ces ballades d’Elvis Presley, un peu sirupeuses mais terriblement sincères, l’ont marquée à jamais. Elle en parle à Charles Blackwell, le jeune arrangeur anglais avec qui elle enregistre alors à Londres. Blackwell comprend tout : il convoque des chœurs à la façon des Jordanaires, fait briller le piano. Le résultat est somptueux : une chanson à la fois sobre et universelle, où la voix de Françoise plane au-dessus de la musique comme une caresse inquiète.



La solitude a l’accent anglais


Le miracle, c’est que Dans le monde entier va changer de dimension quelques mois plus tard. Traduite en anglais par Julian More, un lettré de Cambridge qui savait manier les mots, la chanson devient All over the world. Et là, l’Angleterre tombe amoureuse.


Nous sommes en 1965. Pendant que les Beatles et les Stones se disputent la planète, voilà qu’une Française, discrète, entre dans les charts britanniques. All over the world grimpe jusqu’à la 16e place du classement et y reste quinze semaines. Sur la BBC, la chanson tourne en boucle dans l’émission Two-Way Family Favourites. Les auditeurs anglais découvrent cette voix venue d’ailleurs, à la fois distante et intime, et se demandent sans cesse : “Mais comment fait-elle pour être si triste et si chic à la fois ?”


Françoise, elle, observe tout ça, mi-fascinée, mi-détachée. “En Angleterre, j’avais une autre image, dira-t-elle. Là-bas, on aimait mon style.” Traduction : pour la première fois, elle se sentait comprise ou du moins bien éclairée.



Le spleen made in London


Avec Charles Blackwell, elle enregistre tout un album en anglais : In English, qui sort en 1966. Un disque d’une élégance absolue, où l’on retrouve Et même rebaptisé However much et Mon amie la rose devenue The rose. Mais la vedette, c’est bien All over the world, cette chanson qui semble flotter hors du temps, ni française ni britannique, mais universelle.


Richie Unterberger, critique chez AllMusic, en fera un jour une analyse : “Une ballade triste, mais sans pathos, avec une mélancolie digne.” Tout est là. Françoise Hardy ne joue pas les tragédiennes, elle ne supplie pas : elle espère à voix basse.


Quand la planète s’y met


Le succès ne s’arrête pas aux îles britanniques. All Over the World s’envole en Afrique du Sud, en Nouvelle-Zélande, en Australie… Ironie parfaite pour une chanson qui parle de distance et d’absence.


Plus tard, Judith Durham, chanteuse australienne du groupe The Seekers, en livrera une belle reprise. Puis Katie Melua, dans une version acoustique, rappellera à quel point le morceau garde intacte sa grâce suspendue.


Et pendant ce temps, Dans le monde entier, la version française d’origine, dort discrètement dans un 45 tours (Dis-lui non) et dans l’album Mon amie la rose. Une injustice qu’on pourrait qualifier de typiquement hardyenne : écrire une chanson sublime, la planquer, et ne pas s’en vanter.


Que m’importe alors de savoir si d’autres cette nuit s’aiment ou bien ont du chagrin…” Il y a du Sagan là-dedans, du spleen moderne, une mélancolie qui ne cherche pas à séduire.


Avec All Over the World, Françoise devient, sans l’avoir vraiment voulu, une star internationale. Elle tourne dans What’s New Pussycat, fréquente les Beatles, croise Mick Jagger (“un ange noir”, dira-t-elle, en fan transie). Elle reste pourtant cette jeune femme qui, la nuit, continue d’écrire des chansons en pensant à quelqu’un qui n’est pas là.


Il y a dans Dans le monde entier tout ce qu’on aimera toujours chez elle : la pudeur, la grâce, le désespoir courtois. Une chanson née dans une chambre vide, devenue succès international. Le message sincère de quelqu’un qui “ne supportait pas la séparation”.


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