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"Doigts" - Hardy : une miniature de tendresse (1971)

Dernière mise à jour : 9 juin


Choisir une chanson préférée dans La Question, c’est cruel et inutile. Mais puisqu’il faut trancher, ce sera Doigts. Une minute vingt-cinq de grâce discrète, qui ne s’annonce pas, et qui vous retourne quand même.


Un souffle, une caresse, une question


Doigts commence sans prévenir. On entre directement dans la confidence :

Quand je t’apprends sur le bout de mes doigts…


On est déjà dans l’intimité la plus pure. C’est une chanson qui tient sur un fil : fil du désir, fil de la peau, fil de l’imaginaire. Et on a envie que ce fil ne casse jamais.


Presque invisible à la première écoute, elle s’imprime pourtant comme une empreinte. C’est la seule de l’album que Hardy a entièrement composée — preuve, s’il en fallait, qu’elle n’a pas besoin de plus pour toucher juste.


Aujourd’hui, en réécoutant Doigts, je pense à ces instants où l’on voudrait que tout le monde se taise. Où la musique devient plus intime qu’une lettre d’amour.


Le contexte : une rupture douce, mais radicale


Sorti en 1971, La Question marque un tournant dans la carrière de Françoise Hardy. Elle quitte les années 60 pour un folk intimiste aux couleurs brésiliennes. Un album grave, introspectif, dépouillé. Loin des hits calibrés.


Cette mue artistique doit beaucoup à Tuca, Valeniza Zagni da Silva, chanteuse et compositrice brésilienne née à São Paulo en 1944.

Formée au Conservatoire, Tuca est une figure de la scène musicale brésilienne des années 60. Lauréate de plusieurs festivals de musique populaire, elle se fait connaître localement avant de s’exiler en Europe, fuyant la dictature.


C’est à Paris, en 1969, qu’elle croise la route de Françoise Hardy grâce à une amie commune, Léna. Hardy raconte :

« Un soir, elle m’a emmenée dans un restaurant près de l’Hôtel de Ville, et là se produisait Tuca, avec sa guitare. »


Séduite, elle lui propose rapidement de travailler ensemble. Ce sera La Question.

Tuca signe la majorité des musiques de l’album, assure les arrangements et co-dirige le projet. Avec elle, Hardy découvre un son épuré mais chargé d’émotion, où la bossa nova se mêle à un spleen existentiel.


Une alchimie qui deviendra triomphe critique


En studio, la simplicité règne. Hardy chante, Tuca joue de la guitare, Guy Pedersen est à la contrebasse, Catherine Lara signe les cordes. Le tout est capté avec finesse par Bernard Estardy.


Les bases sont enregistrées en quelques prises. Puis Tuca propose des arrangements de cordes, composés au piano dans l’intimité d’une petite pièce chez l’éditeur.

« Il y a dans ce disque une atmosphère, une homogénéité entre la composition et la réalisation musicale », dira Hardy plus tard.


À sa sortie, La Question passe un peu inaperçu, malgré les promos TV. Mais pas de tubes, et donc les radios l’ignorent un peu. Et pourtant, petit à petit, l’album devient un disque culte, admiré pour sa cohérence, sa pudeur, sa profondeur.

Aujourd’hui, La Question est considéré comme l’un des sommets de la chanson française. Une référence, citée par des artistes comme Keren Ann ou Barbara Carlotti.


Tuca, une fin tragique pour une artiste libre


Après l’album, Tuca tente une carrière solo. Elle enregistre des disques singuliers, dont l’étrange Drácula, I Love You, à son retour au Brésil. Mais le succès ne suit pas. La santé non plus.

Amoureuse, tourmentée, elle meurt en 1978, à seulement 33 ans, des suites d’un régime drastique suivi pour plaire à une femme dont elle était éperdument éprise.

« On m’a raconté qu’elle a fait une chute de potassium, elle a fait un malaise et ne s’est jamais réveillée », dira Françoise Hardy.


Conclusion : un chef-d’œuvre intemporel


La Question est un disque sans équivalent, né d’une rencontre imprévue entre une icône de la pop française et une musicienne brésilienne hors norme. Il n’est ni tout à fait chanson, ni bossa nova, ni folk : il est entre les genres, comme un souffle.


Et Doigts ?

Un murmure, une caresse. Doigts n’est pas une chanson : c’est un instant suspendu.


2 commentaires

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Invité
09 juin

La question a bénéficié d'une bonne promotion, beaucoup de télés, en particulier chez Averty. On sait maintenant qu'il n'a pas eu un gros succès mais à cette époque on faisait un album par an et on passait vite à autre chose. Le suivant, par contre n'a pas eu une promotion équivalente.

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Invité
09 juin
En réponse à

Merci pour votre remarque, c'est précieux! Je vais corriger, il est important sur le net de laisser des infos exactes autant que possible...

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