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Mélancolie — L’arrière du disque, l’avant du cœur



L’année 73, pour Sheila, c’est celle des noces et des gondoles. Elle a dit oui à Ringo, chanté Les Gondoles à Venise et Adam et Ève — autant dire qu’on naviguait alors en pleine carte postale. Mais voilà qu’à la rentrée, changement de décor : le ciel s’alourdit, les violons s’invitent, et Sheila passe au spleen de la solitude.

En face A, Cœur blessé parle de rupture, de portes qu’on regrette d’avoir claquées. En face B, Mélancolie évoque l’attente, la peur du vide, le froid de la nuit sans l’autre. Une chanson qui a eu très vite le dernier mot, et qui d’ailleurs est passée en 1ère position sur la pochette.


L’amour dans un soupir


Mélancolie est une chanson simple, directe, qui joue sur la corde la plus universelle : l’absence. Avec ses “J’attends / J’attends ton pas” et ses percussions progressives, elle nous emmène doucement dans cette chambre vide, ce lit trop grand, ce silence trop fort.


Le plus étonnant ? Le texte est signé… Katherine Pancol. Oui, celle des Yeux jaunes des crocodiles. En 1973, elle n’a que 20 ans, commence tout juste le journalisme, et croise la route de Sheila presque par hasard. Une interview pour le magazine Mademoiselle, une rencontre brève, puis la commande de Claude Carrère : « Écris-moi des paroles sur cette bande ». Elle gribouille quelques mots, les confie au producteur, puis part en reportage pour Paris Match. Quand elle revient trois semaines plus tard, sa chanson est… numéro un. Elle l’entend à la radio, dans un taxi parisien, et crie de joie. Le chauffeur croit qu’elle a perdu la tête.


Une voix qui change, une Sheila qui bascule


Musicalement, le titre est une adaptation de Melody Lady, obscure perle composée par Jack Arel et Freddie Meyer, figures discrètes du paysage musical (le premier est derrière L’amour, l’amour, l’amour de Mouloudji, le second, un dandy américain bien intégré à la jet-set tropézienne).


L’orchestration de Jean-Claude Petit donne au morceau une ampleur et un relief nouveaux. La voix de Sheila se pose, s’alourdit, gagne en densité. On entend le glissement intime : la mariée réalise que l’homme qu’elle a épousé n’est pas celui de ses rêves. Et Mélancolie en capte les premiers frémissements. Le désenchantement commence peut-être là. Tout doucement. Sur un “J’attends ton pas” qui résonne dans le vide.


Une B-side qui devient hymne


Cœur blessé, l’autre titre du 45 tours, est une chanson de “réconciliation conjugale” sur fond de petites annonces. Un morceau tout à fait fréquentable, dansant, léger, presque biguine, qui connaîtra une seconde vie sur scène en 2012.


Mais Mélancolie, elle, a encore mieux traversé le temps. Chantée à l’Olympia pour la première fois en 2002, elle est depuis devenue un incontournable du répertoire scénique de Sheila. C’est le genre de titre qui fait chavirer les fans dès les premières notes, que tout le monde reprend en chœur sur les “oh que je t’aime”, comme une incantation collective.


On pourrait presque en faire une catégorie à part : ces morceaux placés en face B qui finissent par voler la vedette. Un peu comme Vous les copains, Le Folklore Américain ou Les Rois Mages, qui eux aussi se sont imposés après coup. Chez Sheila, la face B est souvent celle du cœur.


Une prestation mythique… avec ballets en prime


S’il restait un doute sur la force de la chanson, il suffit de revoir la prestation dans Top à Sacha Distel, en décembre 1973. Réalisée par les Carpentier, chorégraphiée par Arthur Plasschaert, cette version met en scène une Sheila entourée de danseurs, dans une sorte de tableau visuel où la solitude se danse et se matérialise.



Mélancolie, mais pas que


Ce disque de novembre 1973 marque un tournant. Après l’image un peu idéalisée du couple Sheila-Ringo, elle chante désormais l’attente, l’absence, les conflits. Des thèmes qu’elle poursuivra en 1974 avec Le Couple ou Ne fais pas tanguer le bateau. Pas encore les divorces ou les silences de plomb, mais on n’en est pas loin. Derrière les robes signées Azzaro ou Cardin, on sent une femme qui commence à dire autre chose. Et le public, lui, l’a bien entendu. Le disque s’écoule à 500 000 exemplaires.


Aujourd’hui encore, la chanson reste un morceau fétiche. Non parce que c’est un chef-d’œuvre, mais parce qu’elle touche à l’universel. Elle rappelle que la force d’un tube peut tenir à une phrase. Une voix. Une attente.



2 Comments

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Guillaume Carpentier
Jun 12

Quelqu'un sait pourquoi il y a eu 2 pochettes différentes, dont une avec un bandeau bleu en bas?

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L’Agent Secret des Chansons
Jun 12
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Je dirais : pour cacher le logo du pull?? 😀

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