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Sheila, le divin et les tubes (1ère partie)

Dernière mise à jour : il y a 6 jours



On connaît Sheila pour ses chansons qu'on a tous fredonnées un jour ou l’autre. Et ce qu’on remarque quand on examine à la loupe sa discographie, c’est que quelque part entre deux shows des Carpentier et une apparition chez Guy Lux, Sheila s’est payé un trip biblique. Pas une fois, pas deux… cinq fois. Oui, cinq chansons inspirées par les héros les plus photogéniques de la Bible, étalées sur une décennie : L’Âne, le bœuf et le petit mouton (1968), Les Rois Mages (1971), Samson et Dalila (1972), Adam et Ève (1973) et L’Arche de Noé (1977).


Alors quoi ? Claude Carrère aurait-il eu une révélation en lisant l’Ancien Testament dans sa baignoire ? Ou s’agit-il d’un plan marketing aussi fumeux qu’efficace ? Pour le savoir, enfilons notre plus belle toge en satin, allumons un bâton d’encens, et partons en quête du sacré dans les paillettes.

 

1968 – L’Âne, le bœuf et le petit mouton : Noël façon morale ouvrière


Tout commence par une fable. Début 1968, alors que la France n’est pas encore secouée par les pavés de mai, Sheila nous sort, en face B de son 45 tours du moment, une comptine pastorale : un âne martyrisé, un bœuf dépressif, un mouton tondu, et puis… Jésus dans la crèche. Moralité : « Tout ce qui vit sur terre a une tâche à remplir. » Une chanson enfantine ? Oui. Mais pas que. L’Âne, le bœuf et le petit mouton parle d’effort, de résilience, de l’utilité de chacun — même des plus modestes. C’est l’évangile version 60s, avec une pincée de lutte des classes.


Carrère sent-il déjà que le spirituel peut faire vendre ? Mystère. Mais le ver est dans le fruit. Et l’Éden, c’est pour bientôt.


1971 – Les Rois Mages : la théologie en pattes d’eph


C’est le tube biblique le plus connu de Sheila. Elle y endosse le rôle d’une pèlerine glam, suivant son « étoile du berger » comme Melchior, Gaspard et Balthazar autrefois. Sauf qu’ici, la crèche est remplacée par une histoire d’amour, et que le refrain pourrait presque sortir d’un mantra new age : « Je te suivrai, où tu iras j’irai, fidèle comme une ombre… ».


Dans Les Rois Mages, la religion se dilue dans le romantisme. La foi devient une confiance aveugle en l’être aimé. Sheila chante la dévotion comme d’autres récitent un chapelet. Et musicalement, c’est efficace : rythme soutenu, chœurs à gogo, ambiance caravelle en route vers l’amour éternel. Carrère et Schmitt réinventent l’adoration des mages version variété.


1972 – Samson et Dalila : la pop biblique et pouvoir au féminin


L’année suivante, changement de ton. Sheila attaque l’un des couples les plus dramatiques de l’Ancien Testament. Samson et Dalila, c’est du lourd : passion, trahison, cheveux magiques et temple qui s’écroule. Et Sheila, elle, nous raconte ça avec sa fougue habituelle : « Si tu m’aimais tout comme Samson, je ne serais pas Dalila », clame-t-elle entre deux « Na na na na na ».


La chanson se transforme en leçon de fidélité. Le mythe devient morale, mais avec du groove. L’homme doit être fort, la femme loyale si elle est aimée. Malgré tout Sheila prend le pouvoir : c’est elle qui décide si elle trahit ou pas « Quand je pense à eux, moi, je pense à toi... ». Son futur mari n’a qu’à bien se tenir…


1973 – Adam et Ève : le tube métaphysique


Quatrième volet : Adam et Ève. Cette fois, pas de trahison, pas de voyage, pas d’animaux. Juste deux êtres humains, très amoureux, qui vivent leur histoire comme s’ils étaient les premiers de l’histoire. Le refrain est répété jusqu’à l’extase : « Adam et Ève, c’est toi et moi. ». On est à la frontière du spirituel et de la chanson de mariage.


Sheila y affirme que l’amour véritable est une forme de foi. Qu’avant l’autre, rien n’existait. Que le monde moderne peut être mécanisé, mais que les sentiments, eux, restent éternels. Pas de serpent, pas de pomme, ni même de feuille de vigne, juste un couple sincère dans un monde trop rapide. Sheila comme prêtresse de l’union sacrée.


1977 – L’Arche de Noé : on embarque tous, même Framboise


Et pour finir, le retour des bêtes. L’Arche de Noé débarque en 1977, juste avant la vague Sheila disco. Surprise : c’est une comptine. Sheila chante avec des enfants, on y croise des chouettes à lunettes, des agneaux, un canari blessé, un chien qui s’appelle Framboise… et un clin d’œil au Déluge, si jamais il pleut pendant les vacances.


C’est mignon. C’est kitsch. Et pourtant, c’est très malin. L’arche devient ici une image de la famille recomposée, du refuge affectif, du « on est serrés mais ensemble ». Dieu n’est plus au centre : c’est Maman, la vraie divinité du foyer, « la plus belle », qui tient la barre.


On peut sourire. Mais au fond, cette chanson-là dit quelque chose de beau : que l’amour, même bordélique, surmonte tous les cataclysmes.


Une obsession divine ?


Alors, pourquoi ce fil rouge biblique chez Sheila ? Elle n’a jamais été perçue comme une chanteuse à message, encore moins religieux. Pourtant, ces cinq chansons, aussi diverses soient-elles, dessinent un univers spirituel étonnant : foi en l’autre, fidélité, rôle à jouer, quête de sens.


Il y a peut-être là un effet miroir : à une époque où la variété cherchait à donner du poids à ses refrains, convoquer la Bible, c’était convoquer le mythe. Sheila ne chantait pas Dieu, elle chantait des archétypes. Elle ne faisait pas de catéchèse, elle faisait de la symbolique accessible. Et avec Carrère à la baguette, tout devenait possible — même une chanson avec un bœuf fatigué.


Sheila n’a converti personne, mais elle nous a donné à croire — à l’amour, à la fidélité, aux animaux mignons. Et quelque part, c’est peut-être ça, le vrai miracle.



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