Long sera l’hiver : Sheila, battante au cœur givré
- L'Agent Secret des Chansons

- 11 juil.
- 3 min de lecture

1968 : Sheila sort du tourbillon Petite fille de français moyen, chanson reçue comme une gifle de conformisme au milieu des remous de Mai 68. Trop sage pour certains, trop dans les clous pour d’autres, elle traîne une réputation d’élève modèle… à laquelle elle décide de mettre un coup de pied glacial avec Long sera l’hiver. Il fallait une nouvelle image, plus sombre, plus mûre. Claude Carrère l’a compris : place à la tragédie !
Quand la neige cache les paillettes
Dès les premières mesures, le décor givre la piste : violons dramatiques, basse en sourdine, orchestration façon mélodrame à la française inspirée des Irrésistibles, (My Year Is a Day, composée par William Sheller), sauf qu’ici on ne danse plus trop, on tremble. Sheila rescapée des années yéyé rentre dans le rôle d’une héroïne de film noir romantique.
Long sera l’hiver commence sur un cri : « Tu n’es plus près de moi… Je me sens si seule… » Le décor est planté : neige, froid, solitude, amour long distance. Le « my love » en refrain sonne comme une bouteille à la mer gelée. Une séparation qui fait froid au cœur, mais le cœur tient encore. L’interprétation de Sheila est habitée, encore plus que sur Adios Amor l'année d'avant.
L’allégorie derrière la voix
On peut légitimement se demander si ce n’est pas aussi une allégorie : l’absence, le départ, la promesse—pourrait-on penser à la disparition d’un être cher, un rendez-vous au paradis évoqué par « rester ensemble toute l’éternité » ? Ces paroles ont quelque chose d’éternel, d'étrange pour une chanson de variété, même si c'est le tandem habituel Jacques Plante / Claude Carrère qui les signe. L’hiver devient symbole de l’attente, la promesse du retour devient élévation spirituelle. D'autant plus que l'autre chanson de la face A, Au milieu des nuages, enfonce le clou de l'amour céleste et paradisiaque, cette fois sur un mode swing...
La stratégie Carrère : contraste et repositionnement
Après Petite fille de français moyen, marqué comme chanson « réactionnaire » par une partie de la critique, il fallait faire pivoter l’image de Sheila. Outre Long sera l’hiver, le grand frisson dramatique que rien ne peut briser, le 45 tours offrira également en face B un titre sexy (La Vamp) et un titre pop et sensuel (Oui c’est l’amour, voir l'article sur la chanson).
Pourquoi ce titre marque les fans ?
Comme d’autres faces A de la fin des années 60 (Le kilt, Quand une fille aime un garçon, Arlequin ou Love Maestro please), Long sera l’hiver n’a jamais été chantée sur scène. Trop triste, trop datée, ou peut-être trop personnelle pour la chanteuse ? Qui sait. Mais le fait de l’avoir laissée figée dans un 45t contribue à son charme secret : elle existe hors du temps de la scène, comme un tube suspendu, réservé aux initiés.
Entre image, musique et émotion
Sheila, silhouette joyeuse du yéyé, s’aventure ici dans un drame lyrique touchant. L’arrangement de Jean Claudric (violons, cordes, crescendo lyrique) colle parfaitement à l’intention : Long sera l’hiver devient un spectacle en trois minutes. La photo du 45t, échevelée, limite provocante, certainement créée pour La vamp mais surtout pour casser son image, joue le contraste avec le froid intérieur du texte — paradoxe visuel et narratif .
Virage et chanson culte
Sorti en 1968, peu après Petite fille…, le titre s’impose doucement : top 5 des ventes, bien que moins universel que ses tubes précédents. Il partage les apparitions TV avec La Vamp et Oui c’est l’amour, autres angles choisis par Carrère pour la repositionner à 23 ans en une version plus adulte de la jolie petite Sheila.
Elle l'enregistrera plus tard en allemand, et on retrouvera en 2014 Long sera l’hiver version orchestrale sur une belle compilation de « Baroque pop » à la française : 69 année mélodique.
Aujourd’hui, Long sera l’hiver est loin d’être dans toutes les playlists. Mais elle a marqué les mémoires de ceux qui l’ont ressentie à l’époque : lorsqu’on entend la chanson, on visualise une ville glacée, un ciel lourd, un cœur qui attend malgré tout. Elle dit le drame, l’amour, la promesse éternelle.
Elle pose déjà les bases, version variété classique, de la chanteuse adulte en devenir et restera un témoignage de cette transition, où la légèreté cédera parfois la place à la tristesse et l’incandescence.



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