Oui c’est l’amour : 1968, Sheila change de disque (et de style)
- L'Agent Secret des Chansons
- 5 avr.
- 3 min de lecture

En 1968, le personnage de Sheila commence à poser problème. Jusqu’ici, elle est l’incarnation de la jeune fille parfaite du showbiz. Mais les temps changent. Quand elle sort Petite fille de Français moyen en juin, le public la suit, mais pas la critique.
L’idée était sociologique, un peu ironique, mais la chanson est perçue comme moralisatrice. Elle déclenche même une certaine hostilité, surtout dans les médias. Ce qui devait être un miroir tendu devient un boomerang.
Claude Carrère, son producteur, comprend vite que Sheila ne pourra pas continuer comme ça. Il faut une nouvelle image, plus moderne, moins sage. Du coup, on introduit une dose de drame, un soupçon de sexy, et si possible un peu de surprise. Dans ce contexte, il faut voir le 45 tours Long sera l’hiver comme un tournant. Et au verso de ce disque, il y a Oui c’est l’amour, une drôle de chanson pop un peu oubliée aujourd’hui.
Une vamp pour la télé, une chanson pour bouger
Sur la pochette du disque, Sheila est décoiffée, presque féline. Et lors de sa prestation télé dans Télé Dimanche, le 3 octobre 1968, elle porte une robe mini et des cuissardes. Ce look marquera les esprits. Mais cette tenue n’était pas pensée pour Oui c’est l’amour. Elle avait été conçue pour un autre titre du disque, La vamp, plus malicieux, plus provocant. On retrouvera d’ailleurs la tenue sur la pochette de son LP de fin d’année, et dans les autres prestations TV de l’époque.
Un rythme pop, un refrain perché et un effet waouh
Ce qui frappe surtout dans Oui c’est l’amour, c’est la structure vocale. Sheila y tient une note très aiguë, très longue (trop longue ?…). Et est-ce que ça passe toujours bien ? Pas forcément. Mais l’intention de faire quelque chose de différent et d’étonnant est bien là.
L’arrangement est signé Jean Claudric, fidèle compagnon de studio. Résultat : un groove nerveux, des cuivres percutants, des chœurs qui répondent en écho, une orchestration vitaminée. C’est très 1968 dans ce que la variété savait faire de plus efficace, avec les gros moyens qui étaient mis en studio au service de la chanteuse.
Et que raconte cette chanson, au fond ? Eh bien… l’amour. Rien que l’amour. Tout l’amour. Le frisson du pas feutré de l’autre, les mains qui se cherchent, la joue qui se pose sur l’épaule, les étoiles dans les yeux… C’est un condensé de clichés amoureux assumés :
« Ta main épouse la mienne / Sur ton épaule ma joue fait son nid »« Avec toi j’irai jusqu’au point de non-retour »
Le texte est signé par l’équipe habituelle : Claude Carrère, Jacques Plante et André Salvet. Rien de révolutionnaire, certes, mais calibré pour une Sheila plus à l’aise dans son époque post-Mai 68.
Le 45 tours dans son ensemble : un projet à facettes
Oui c’est l’amour ne se présente pas seule. Elle partage le disque avec trois autres morceaux, dont Long sera l’hiver. Et celui-là est très différent : plus lent, plus sombre, presque dramatique. On passe d’un côté à l’autre du spectre émotionnel.
Carrère savait très bien ce qu’il faisait. Il voulait montrer que Sheila pouvait tout chanter : l'allégresse pop un peu sexy comme la grande peine amoureuse, et ainsi devenir une actrice de la chanson, capable de passer d’un registre à l’autre, de suggérer autant la légèreté que le drame. On sent qu’on essaie de l’inscrire dans quelque chose de plus vaste, de plus adulte.
Et au milieu, il y a La vamp et Au milieu des nuages, qui ajoutent une touche espiègle à l’ensemble. C’est un disque à facettes, construit avec une vraie logique marketing.
Conclusion : une vraie pépite de son époque
Je ne dis pas que Oui c’est l’amour est un chef-d’œuvre, loin de là. Mais c’est un morceau qui a de l’énergie et une certaine fraîcheur, malgré son style très marqué années 60. Un ovni musical, un bon exemple de ce que la variété française pouvait proposer à l’époque, en dehors des grands tubes : dansant, direct, et un peu décalé.
Alors si vous avez trois minutes devant vous, allez l’écouter. Fermez les yeux, imaginez les cuissardes rouges, le jerk dans les jambes, et laissez faire. Vous verrez, ça fonctionne toujours. Parce qu’au fond, la seule chose qui compte, qui compte… oui, c’est l’amour.


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