L’école est finie, mais le ranch est éternel
- L'Agent Secret des Chansons
- 5 janv.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 mai

Hier soir, en regardant un épisode de Black Mirror – le très onirique Hotel Reverie – j’ai eu un flash. Une chanson de Sheila m’est revenue en tête, presque comme une madeleine spatiale : Hotel Happiness, en VF Le Ranch de mes rêves. Ce n’est pas le titre le plus connu de la chanteuse, mais chez moi, il a toujours eu une petite place bien au chaud.
Je me suis alors rendu compte que je n’avais jamais vraiment creusé les origines de ce titre, que je continue parfois d’écouter avec plaisir. Alors, comme un bon petit détective de la chanson, j’ai décidé d’enquêter.
Le Ranch de mes rêves, c’est un petit bijou discret, tapi derrière l’énorme succès L’école est finie, deuxième 45 tours de Sheila sorti en février 1963. Une face B certes, mais une parenthèse plus douce dans un disque destiné à faire danser.
Du motel au ranch : une transhumance musicale
Ce titre, à l’origine, ne parlait pas de chevaux ni de balades au grand air. Il s’intitulait Hotel Happiness et fut interprété par Brook Benton, accompagné des Merry Melody Singers. Sorti en 1962, ce slow bien enveloppé s’est hissé à la 2e place des charts R&B américains, et à la 3e place du Billboard pop.
Arrangé par Jerry Kennedy, le morceau faisait partie de ces ballades à la fois chaleureuses et mélancoliques, parfaitement calibrées pour la voix de velours de Brook Benton.
Brook Benton, pour ceux qui auraient besoin d’un rappel, est un crooner américain emblématique des années 50 et 60, connu pour des titres comme Rainy Night in Georgia ou Endlessly, et également ses duos avec Dinah Washington. Sa voix était faite pour dire l’amour avec élégance. Dans Hotel Happiness, il évoquait un lieu-refuge, un hôtel imaginaire où l’amour panse les blessures du cœur.
Et puis, comme souvent à l’époque, une chanson américaine qui cartonne finit par traverser l’Atlantique. L’adaptation française est signée Claude Carrère avec la complicité de Richard Anthony, qui en enregistrera aussi une version de son côté, mais qu’il ne signera pas… Petits arrangements entre amis ?
Chez Sheila, ce rêve d’hôtel se transforme donc en ranch. Pourquoi pas ? Le concept reste le même : un lieu doux, paisible, où l’on serait enfin heureux avec l’être aimé. Mais l’adaptation française ajoute une touche de fraîche innocence. On n’est plus dans le motel pour adultes fatigués, mais dans le songe éveillé d’une ado qui rêve sa vie de grande en Amérique.
Et ce, même si l’imagerie western, très prisée alors, n’avait pas encore colonisé nos chansons de jeunes filles modèles… Le Folklore Américain n’arriverait que 3 ans plus tard !
Le 45 tours L’école est finie : quatre titres, quatre ambiances
Nous sommes en 1963. Sheila vient tout juste de faire irruption dans le paysage musical français avec son premier disque Sheila, sorti en novembre 1962 mais qui est passé un peu inaperçu. Le contexte est simple : Claude Carrère, encore jeune producteur, cherche une voix, une image. Il découvre Annie Chancel, qu’il rebaptise Sheila. Il l’imagine en jeune fille modèle, dans l’air du temps mais sans provocation.
Avec Jacques Plait, son complice, ils créent une imagerie fraîche, dynamique, parfaitement calibrée pour séduire les jeunes sans affoler les parents. C’est l’époque des yéyés, des adaptations de tubes anglo-saxons, du twist à toutes les sauces.
Et c’est donc vraiment L’école est finie, son deuxième 45 tours sorti en février 1963, qui fait d’elle une idole. Le disque s’arrachera en six mois à plus de 700 000 exemplaires en France, 1,5 million dans le monde.
Ce fameux 45 tours contient en face A L’école est finie, l’hymne twist et libérateur, conçu pour les jeunes en mal de vacances et d’émancipation, et Papa t’es plus dans l’coup, clin d’œil aux conflits de générations, popularisé bien plus tard par le film 8 femmes de François Ozon. Et en face B Le Ranch de mes rêves et Ne raccroche pas, adaptation du tube Don’t Hang Up du groupe américain The Orlons.
Ce sont quatre morceaux soigneusement choisis, chacun avec un style distinct, mais tous portés par la même voix : celle d’une Sheila fraîchement arrivée, coiffée de ses fameuses couettes (merci le coiffeur Michel Mastey, ou Annie Bois selon les versions), photographiée dans les studios Rue Jenner, et propulsée à coups de campagnes d’affichage et d’astuces de communication presque artisanales.
La face B qui méritait la lumière
Alors que L’école est finie est de toutes les émissions, la promotion du Ranch se résume à très peu de passages TV. Pour l’émission Toute la chanson du 12 avril 1963, on diffuse une séquence filmée où l’on voit Sheila à cheval, puis en tenue de cow-boy avec Johnny Hallyday.
Dans ses paroles, Le Ranch de mes rêves raconte un monde simple : un couple amoureux, une forêt, des balades à cheval, du bonheur à l’état brut. Sheila galope au son d’un orchestre doucement chaloupé, imaginant une vie simple, en harmonie avec la nature… et les enfants qui font un peu de bruit, parce que "c’est très important". Et puis, musicalement, le morceau a cette douceur typique des blues américains, transposée avec habileté dans l’univers yéyé. Pas étonnant qu’il ait survécu à l’épreuve du temps.
Le ranch n’a pas pris de rides (ou si peu !)
Aujourd’hui, Le Ranch de mes rêves n’est plus qu’un petit coin de mémoire dans la vaste discographie de Sheila. Mais il continue, pour moi, de représenter un instant de grâce, une chanson qui ne cherche pas à briller mais qui touche juste. L’école est peut-être finie, mais le ranch, lui, est toujours là. Juste derrière une colline de souvenirs.


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