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J'entends cette musique – Quand France Gall rencontre (le faux) Albinoni



Été 1963. Pendant que la jeunesse bronze sur les plages, une ado de 15 ans doit quitter Noirmoutier en urgence. Direction le Théâtre des Champs-Élysées pour une audition qui va changer sa vie.


Isabelle Gall chante devant Denis Bourgeois, directeur artistique chez Philips, et le producteur est immédiatement séduit. Seul souci : chez Philips, il y a déjà une Isabelle bien installée (Aubret). Pour éviter toute confusion, exit Isabelle, bonjour France Gall. Un nom qui claque et qui s’éloigne des pseudos à l’américaine, très en vogue à l’époque.


Le 28 novembre 1963, son premier 45 tours sort dans les bacs. Sur la pochette ? Une ado au regard franc, un fond violet et une coupe sage signée Jacques Dessange. Au dos, un portrait en quelques lignes : elle aime Aznavour, Nougaro et les slows mélancoliques.


Un premier disque où se cache une curiosité


Sur ce premier EP, deux chansons sont des adaptations de succès anglo-saxons, pratique courante à l’époque (dont l'une est signé par Claude Carrère, producteur de Sheila). Mais en face B, un titre sort du lot : J'entends cette musique. Ce qui intrigue d’emblée, c’est son inspiration musicale. La mélodie est directement tirée du célèbre Adagio d'Albinoni. Enfin, “d'Albinoni”... pas vraiment.


L’Adagio… d’Albinoni ou de Giazotto ?


Petite parenthèse musicologique, car cette histoire mérite d’être racontée. L’Adagio en question est attribué à Tomaso Albinoni, compositeur baroque du XVIIIe siècle. Sauf que… ce morceau n’a jamais été écrit par lui. En réalité, c’est Remo Giazotto, un musicologue italien, qui prétend en 1945 avoir retrouvé un fragment d’une partition d’Albinoni dans les ruines de la bibliothèque de Dresde. Il “reconstruit” alors une pièce entière à partir de cette soi-disant trouvaille. Le morceau devient un classique, joué et repris partout… sauf qu’aucune preuve de ce fameux fragment n’a jamais été trouvée. Bref, un faux Albinoni, mais un vrai tube.


Une mélodie qui traverse les époques


Quoi qu’il en soit, cet Adagio inspire de nombreux musiciens. The Doors en feront une adaptation en 1968 dans A Feast of Friends, Procol Harum s’en inspire pour A Whiter Shade of Pale, Brian Auger le reprend à l’orgue Hammond, et même Gaël Faye en fait une version chaloupée en 2009. Pas mal pour un morceau sorti de nulle part !


France Gall enregistre donc sa propre version, dans une ambiance bossa-nova arrangée par Jacques Datin, avec des paroles signées Robert Gall, son père. On est loin du rock psychédélique ou du jazz expérimental, mais le résultat a son charme. Une mélodie solennelle, un rythme léger et une interprétation encore toute juvénile. C’est à la fois doux et un peu mélancolique.


Une chanson éclipsée


Malgré cette curieuse association entre musique baroque et chanson pop adolescente, J'entends cette musique passe largement inaperçue. C’est Ne sois pas si bête, en face A du disque, qui décroche la timbale et permet à France Gall de se faire un nom dans l’univers yéyé.


Et pourtant, ce morceau raconte déjà tout de France Gall : une voix candide, une mélodie accrocheuse, et un lien inattendu avec un pan entier de l’histoire musicale. Un drôle de mélange entre candeur adolescente et héritage baroque, qui donne envie de tendre l’oreille à nouveau.







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