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First Choice - Let no man put asunder : les déesses disco brandissent l’Évangile

Dernière mise à jour : 22 août


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Certaines chansons disco sentent la sueur, le polyester et la piste de danse à plein régime. Let No Man Put Asunder de First Choice, en plus d’avoir tout ça, se permet de citer directement l’Évangile. Rien que ça. On imagine déjà le DJ du Paradise Garage en 1979 lancer le vinyle en se disant : « Ce n’est pas qu’un disque, c’est un sermon funky. »


Et si cette histoire mérite un détour, c’est parce qu’elle est à la fois celle d’une chanson pas vraiment single, d’un groupe pas tout à fait fixe, et d’un son vraiment Philadelphia.


Le trio magique… à géométrie variable


First Choice, c’est un peu comme un cocktail disco : ça change selon qui tient le shaker. À l’origine, dans les années 70, on retrouve Rochelle Fleming (voix de velours tranchant, la diva permanente), Annette Guest (fidèle lieutenant) et Wardell Piper (vite remplacée par Joyce Jones, puis Ursula Herring, puis Debbie Martin). Autant dire qu’à chaque album, c’est comme une nouvelle saison de série : casting différent, intrigue musicale identique, et toujours cette voix de Fleming qui traverse les décennies.


Leur premier hit sur le label Philly Groove, Armed and Extremely Dangerous (1973), sonne comme un avertissement : attention, ces filles-là ne rigolent pas. Smarty Pants (même année) les place dans le peloton de tête du Philadelphia Disco Soul. Et The Player confirme leur statut : pas seulement des choristes bien coiffées, mais un vrai groupe vocal qui sait transformer les histoires de cœur en hymnes pour pistes bondées.


Le passage chez le docteur… et chez le producteur


En 1977, changement de label. Norman Harris — guitariste, producteur, entrepreneur, visionnaire à col roulé improbable — décide de lancer sa propre maison, Gold Mind, distribuée par Salsoul. Et dans la foulée, il signe First Choice, avec Ursula Herring comme troisième membre. Bien joué : leur premier tirage sur le label donne l’album Delusions.


C’est un disque gorgé de classiques : Doctor Love (tube officiel, prescrit sans ordonnance), Love Having You Around (reprise de Stevie Wonder), et au détour de la face B, un certain Let No Man Put Asunder. Pas prévu comme single, pas pressenti pour dominer les charts, même pas assez « catchy » pour la radio. Bref, la chanson est rangée dans le tiroir « curiosité ».


Erreur de jugement.


Quand l’Évangile se mêle au disco


Car Let No Man Put Asunder, c’est plus qu’un morceau. C’est un manifeste. Rochelle Fleming y chante l’histoire d’une femme qui refuse la rupture : « Ce n’est pas fini entre nous, je ne veux pas être célibataire. » Traduction libre : « Tu poses ta valise. »


Et puis il y a cette ligne incroyable, qui a fait trembler des milliers de pistes de danse : What has been joined by God, let no man put asunder (« Ce qui a été joint par Dieu, ne laisse aucun homme le séparer »). Directement tirée de la Bible (Matthieu 19:6), posée au milieu d’un beat disco à 118 BPM.



Les DJs flairent la bombe


Les maisons de disques n’y croyaient pas ? Pas grave. Les DJs, eux, savaient. Walter Gibbons, pionnier new-yorkais du remix, en fait une première version en 1979. Pas de rallonge façon 12 pouces interminable, mais une version épurée, centrée sur les voix et le beat. Le genre de minimalisme qui fait transpirer encore plus fort sous les stroboscopes.


Puis, en 1983, deux grands noms s’en mêlent : Shep Pettibone et Frankie Knuckles. Le premier, architecte sonore de la fin du disco et futur collaborateur de Madonna, décortique le morceau pour en faire une arme fatale de club. Le second, père spirituel de la house, l’intègre dans ses sets de Chicago. Là, le titre prend sa véritable dimension : il devient un prototype de house avant même que la house n’existe.


Le morceau avait donc encore une carte à jouer, et First Choice se retrouve — presque malgré elles — au panthéon des fondateurs de la dance moderne.



Une carrière à éclipses, mais toujours culte


Après Delusions, First Choice continue sur sa lancée avec Hold Your Horses (1979), rempli de pépites comme Love Thang ou Double Cross. Mais les modes changent vite, et le groupe finit par se séparer en 1980. Pas grave : le futur allait se charger de les ressusciter.


Car Let No Man Put Asunder ne meurt jamais vraiment. On le retrouve dans les sets house des années 80, samplé à toutes les sauces dans les 90s, repris par Mary J. Blige en 1999, cité par J. Cole en 2019. Et puis, miracle disco : en 2014, le groupe se reforme pour un concert new-yorkais aux côtés d’autres vétérans Salsoul. Les voix ont vieilli mais l’énergie est intacte.


Pourquoi ce morceau reste une anomalie géniale


Si l’on devait résumer Let No Man Put Asunder en une équation, ce serait :


Évangile + Groove + Diva + DJs visionnaires = classique absolu.


Aujourd’hui, le nom de First Choice évoque autant une époque bénie du disco que l’émergence d’une autre, celle de la house. Leur héritage, ce sont des morceaux comme Doctor Love, Love Thang, The Player… et surtout Let No Man Put Asunder. Et au fond, c’est ça qui est beau avec le disco : même les morceaux les moins « stratégiques » deviennent parfois des monuments. On appelle ça le hasard, ou peut-être la providence.

Après tout, si Dieu lui-même a validé ce groove, qui serions-nous pour le mettre de côté ?

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