"Girl You Need a Change of Mind" : le premier titre disco de l’histoire (et personne ne le sait)
- L'Agent Secret des Chansons
- il y a 14 heures
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Bon, avant que vous ne partiez danser sur Donna Summer, Chic ou Cerrone, laissez-moi vous parler de l’origine. Le point de départ. Le vrai. La chanson qui, sans le savoir, a lancé tout le bazar qu’on appellera bientôt « disco ».
Le titre : Girl You Need a Change of Mind, par Eddie Kendricks. Et si ce nom ne vous dit rien, sachez que c’est l’ancien chanteur des Temptations. Oui, ceux de My Girl. Mais là, en solo, en 1972, il lâche une bombe douce. Un morceau groovy de 7 minutes 30. Et c’est avec ça qu’on va commencer notre saga d’été sur les pépites disco !
Retour vers 1972, l’année où le disco n’existe pas encore
Petit contexte pour mes lecteurs nés après l’invention du micro-ondes : en 1972, personne ne parle encore de disco. Les clubs existent, bien sûr, mais on y joue surtout de la soul, du funk, parfois du rock psyché quand le DJ est fatigué. Et quand un morceau dépasse les 3 minutes, on commence à trouver ça un peu longuet.
Et pourtant. Ce Girl You Need a Change of Mind commence à circuler dans les clubs new-yorkais. Et pas dans n’importe lesquels : dans les soirées un peu planquées, un peu chaudes, comme celles du Loft, chez David Mancuso. Là où les DJs sont des prêtres de la piste, et les danseurs des fidèles très impliqués (et très souvent défoncés, on va pas se mentir).
Et eux, quand ils entendent ça, ils hurlent de joie. Littéralement. Le morceau commence doucement, bat à 96 BPM (c’est lent, pour de la danse), puis monte, monte, monte… jusqu’à 110 BPM. Et là tu te retrouves collé à la piste, le front trempé, les hanches en mode automatique, sans même t’en rendre compte.
“Pourquoi tu brûles ton soutien-gorge ?”
Le groove, ok. Mais les paroles ? Eddie, tout en falsetto (vous savez, cette voix d’ange très haut perchée), s’adresse à une femme engagée. Genre militante féministe, pancarte à la main, soutien-gorge en feu. Et il lui sort, tranquille : « Pourquoi manifester ? Pourquoi brûler des soutiens-gorges ? Moi, je suis pour les droits des femmes... mais je veux aussi des nuits à égalité. »
Voilà. Le mec essaye d’être féministe, mais il glisse un petit “viens faire l’amour, c’est de l’activisme aussi” dans le discours. Ça pourrait être gênant, mais c’est presque touchant. En 2025, ça ne passerait peut-être pas. En 1972, c’était juste un mec qui voulait aimer fort et bien. Et qui pensait qu’un bon refrain valait un tract politique.
Un groove venu de Washington, pas de Détroit
Alors comment ce truc improbable est devenu un classique des clubs ? Grâce aux Young Senators, un groupe de funk de Washington. Eddie les recrute pour jouer avec lui. Un soir d’insomnie, vers 3h du matin, ils enregistrent ce morceau dans une vibe de transe, genre jam de fin du monde. Ce n’est pas une chanson : c’est un tunnel rythmique, avec des montées, des cuivres, du piano gospel, des breaks qui respirent comme un danseur essoufflé.
7 minutes 30 de groove progressif, sans couplet-refrain-couplet. Juste une boucle qui prend feu. Quand le 2ème album d’Eddie People hold on sort, les DJs repèrent ce morceau au milieu. Un titre qui était voué à passer inaperçu en radio vu sa longueur, et puisque de toute façon le titre choisi en single par la maison de disque était Let Me Run Into Your Lonely Heart. Mais les DJ’s adorent. Les danseurs deviennent fous. Et Motown, qui au départ n’y croyait pas, finit par sortir le titre en single six mois après. Grâce aux clubs. Grâce à la sueur. Grâce à la nuit.
Flashback Paris, 1981
Quand j’ai commencé à passer des disques à Paris, en 1981, ce morceau traînait encore dans mes bacs. Pas un tube, non. Mais une de ces pépites que tu sors à 4h du matin quand la piste a besoin de respirer et de repartir en même temps. Un morceau pour les amoureux, ou pour les gens qui écoutent.
Ce n’est pas le disco de Saturday Night Fever. C’est avant ça. C’est plus brut, plus organique, plus sexuel aussi, d’une certaine manière. C’est le moment où la musique noire américaine commence à se tourner vers la nuit, le lâcher-prise. Où le DJ devient roi. Et Girl You Need a Change of Mind, c’est la première couronne.
Et après ?
Kendricks enchaînera avec Keep On Truckin’, Boogie Down, Date With The Rain… des titres un peu plus dansants, plus "disco" dans l’imaginaire collectif. Mais rien n’aura la beauté bizarre de Girl You Need a Change of Mind.
Et maintenant que vous savez tout ça, écoutez-la. Jusqu’au bout. Et imaginez que vous êtes à New York, en 1972, au milieu de gens qui dansent en cercle comme des chamans urbains. Et que l’ère disco, celle qui changera (un peu) le monde un BPM à la fois, vient juste de commencer.

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