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Dear Friend : la main tendue de Paul McCartney à John Lennon



En décembre 1971, Paul McCartney publie Wild Life, le tout premier album de son nouveau groupe, Wings. Parmi les morceaux de ce disque brut et dépouillé, le dernier titre se démarque par son émotion à fleur de peau : Dear Friend. Ballade presque douloureuse, Dear Friend est bien une lettre ouverte adressée à John Lennon, à une époque où les tensions entre les deux anciens Beatles atteignent leur paroxysme.


Une réponse apaisée à une guerre froide musicale


Pour comprendre Dear Friend, il faut remonter à cette année 1971. Les Beatles sont officiellement séparés depuis quelques mois, et la guerre des mots entre Paul McCartney et John Lennon s’est intensifiée. Lennon attaquera son ancien camarade dans la chanson How Do You Sleep?, parue sur son album Imagine en septembre. Les paroles ne laissent guère de place au doute : “The only thing you done was yesterday” – une pique cinglante visant Paul.


Paul, lui, choisit la voie de l’apaisement. Dear Friend, enregistrée avec Wings à l’été 1971, est une main tendue :

“Dear friend, what's the time?Is this really the borderline?”


Dans ces mots simples, McCartney exprime ses doutes : la rupture est-elle définitive ? Sommes-nous vraiment devenus ennemis ? Loin des querelles juridiques et des règlements de compte publics, la chanson révèle un homme blessé, qui refuse de tourner complètement la page d’une amitié fraternelle.


Musicalement, la chanson tranche avec le reste de l’album Wild Life. Elle est orchestrée avec délicatesse, enrichie par des arrangements de cordes signés Richard Hewson. La voix de McCartney, tremblante par moments, semble sur le point de se briser, comme s’il avait du mal à contenir son émotion. C’est cette fragilité qui donne à Dear Friend toute sa force.


Une construction musicale au service de l’émotion


Dear Friend est une chanson minimaliste dans sa forme, mais d’une vraie profondeur dans son exécution. L’introduction au piano impose tout de suite une atmosphère contemplative. Les accords sont simples, mais joués avec une lenteur presque pesante, comme si chaque note devait être pesée avant d’être prononcée.


La voix de McCartney, très proche du micro, oscille entre le murmure et la supplication. Il ne cherche pas à impressionner vocalement – ce n’est pas le McCartney flamboyant de Maybe I'm Amazed – mais il se montre honnête, sans artifice. Les silences sont presque aussi importants que les mots : ils créent un espace de doute, de fragilité.


Le violoncelle, discret mais poignant, entre progressivement dans le morceau. Il ne vient jamais dominer la mélodie, mais agit comme un contrepoint émotionnel, amplifiant la mélancolie du chant. L’orchestration reste sobre, mais raffinée – un bel équilibre entre dépouillement et sophistication.


Un album brut, une renaissance incertaine


Wild Life, l’album qui abrite Dear Friend, marque un tournant pour McCartney. Après deux albums solo – le très intime McCartney en 1970 et le luxuriant Ram en 1971 – Paul ressent le besoin de rejouer en groupe. Il fonde Wings à la hâte pendant l’été 1971, avec son épouse Linda aux claviers, Denny Laine (ancien Moody Blues) à la guitare, et Denny Seiwell à la batterie. L’idée est simple : revenir à une dynamique collective, plus spontanée, plus vivante.


D’ailleurs, le nom Wings lui vient à la suite d’un événement marquant. Alors que Linda accouche de leur fille Stella dans des conditions compliquées, Paul prie, inquiet, et dit avoir eu une image soudaine d’ailes d’ange. C’est ce moment intense, entre peur et espoir, qui inspire le nom du groupe – symbole de légèreté, mais aussi de protection.


Wild Life est enregistré en seulement quelques jours, presque en live, dans les studios d’Abbey Road. Paul s’inspire de la méthode de Bob Dylan sur New Morning : tout miser sur l’instant, sans retouches excessives. Le résultat ? Un album volontairement brut, dépouillé, parfois bancal, mais profondément sincère.


Dear Friend fait figure d’exception dans cet ensemble. Là où d’autres titres comme Mumbo ou Bip Bop sont des jams instinctives, voire minimalistes, Dear Friend bénéficie d’un travail d’arrangement plus poussé. Elle semble presque venir d’un autre disque, tant elle rompt avec le ton bluesy et lo-fi de l’album.


Une chanson d’adieu… ou de réconciliation ?


On a souvent vu dans Dear Friend une tentative de Paul pour enterrer la hache de guerre. Et si les tensions entre lui et Lennon ont mis du temps à se dissiper, cette chanson marque une première ouverture. Elle montre surtout que, derrière les disputes et les malentendus, subsiste une affection profonde. Ce n’est pas une déclaration de guerre, c’est un appel à la paix.


Paul racontera plus tard que l’idée de Dear Friend lui est venue après avoir bu quelques verres de vin. Il l’a jouée au piano, presque sans y penser, et s’est laissé porter par l’émotion. Cette sincérité immédiate se ressent à chaque note. C’est peut-être la chanson la plus vulnérable de toute sa carrière.


Même si les relations entre John et Paul ont encore connu des hauts et des bas après Wild Life, Dear Friend semble avoir ouvert une brèche. En 1974, les deux hommes se retrouvent brièvement à Los Angeles pour une jam session informelle – le fameux A Toot and a Snore in '74 – et renouent un certain dialogue, à défaut d’une vraie collaboration.


L’héritage de Dear Friend


Aujourd’hui, Dear Friend est souvent redécouverte avec un regard plus indulgent que celui porté par la critique de l’époque. Elle figure parmi les moments les plus intimes de la carrière de McCartney post-Beatles, et reste un témoignage de l’amitié complexe, fraternelle et parfois douloureuse, entre deux des plus grands musiciens du XXe siècle.


Lorsque Lennon est assassiné en 1980, McCartney, bouleversé, se replie sur lui-même. "Je me suis dit 'Je ne peux pas aller à la télévision et dire ce que John représentait pour moi. C'était trop profond. Je n'avais pas de mots". Deux ans après, Paul McCartney lui rend hommage dans la chanson "Here Today".




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