"Arrow Through Me" : Paul McCartney se rêve en soulman moelleux
- L'Agent Secret des Chansons

- 7 juil.
- 3 min de lecture

Arrow Through Me ne ressemble à rien d’autre dans la discographie de McCartney. Et c’est peut-être pour ça qu’on l’a un peu oubliée. Trop suave pour les fans de rock, trop étrange pour les fans de soul, trop sophistiquée pour les radios, trop smooth pour les stades.
Et pourtant, c’est un petit bijou de style. Une chanson d’atmosphère, d’élégance, et de clair-obscur. On y entend Paul qui chuchote plus qu’il ne chante, dans une ambiance moite, presque cinématographique. On dirait du Steely Dan sans les sarcasmes. Du Curtis Mayfield version pudding. Bref : un ovni doux.
1979, dernier vol pour les Wings
Arrow Through Me sort sur Back to the Egg, le dernier album de Wings, en 1979. Ce disque un peu bâtard, souvent mal aimé, voit McCartney tiraillé entre ses envies de modernité (le punk est passé par là) et sa nostalgie d’une époque où il pouvait juste faire ce qu’il voulait. Spoiler : il va quand même faire ce qu’il veut.
Loin des morceaux plus nerveux de l’album (Spin It On, Getting Closer), Arrow Through Me joue la carte du groove paresseux. On est à mille lieues de Jet ou Live and Let Die. Pas de guitares tonitruantes ici. Juste un clavier électrique, une basse chaude, des cuivres moelleux et un Paul vocalement dans le registre crooner timide.
Une soul blanche pleine de nuances
On a parfois qualifié le morceau de « blue-eyed soul », ce terme un peu daté qui servait à désigner la soul faite par des artistes blancs. Sauf que McCartney ne singe pas ici Marvin Gaye — il en propose une version presque minimaliste. Le tempo est lent, la batterie sonne bizarre et tout semble suspendu. Comme dans un rêve de velours.
“You hit me with a arrow through my heart / You hit me with a arrow through me”
McCartney recycle ici un classique de la chanson d’amour (Cupidon, flèche, douleur douce) mais le traite avec une retenue nouvelle. Une déclaration d’amour en slow-motion, emballée dans un son vintage qui ne cherche même pas à être à la mode.
Studio-fiction : Wings en mode soft-funk
On imagine bien McCartney, entouré de ses claviers, lunettes de soleil sur le nez, testant cette rythmique et se disant : tiens, si on laissait tomber le rock pour une fois ? Le morceau a quelque chose d’intimiste, presque feutré. Ce n’est pas une performance, c’est une ambiance. Et ça fonctionne.
Dans une interview tardive, Paul dira de Back to the Egg qu’il a voulu « tenter des trucs ». C’est peut-être ça, le vrai moteur ici : l’expérimentation tranquille, sans pression commerciale. Et malgré tout, Arrow Through Me sortira en single aux États-Unis, atteindra une honnête 29e place au Billboard — mais ne trouvera jamais vraiment son public. Pas assez rock, pas assez soul, pas assez Paul.
Une chanson redécouverte... par hasard
Pendant longtemps, Arrow Through Me dormira dans un coin. Jusqu’à ce que certains artistes — notamment hip-hop — la redécouvrent. Erykah Badu en sample une boucle dans Gone Baby, Don’t Be Long (2010). Le morceau revient doucement en grâce. Des playlists "Yacht Soul" commencent à lui faire les yeux doux. Des critiques américains la désignent soudain comme un "deep cut" essentiel. Et McCartney ? Il n’en parle presque jamais. Comme si cette chanson, c’était un secret qu’il avait glissé dans l’album, pour lui.
Un truc qu’on ne joue pas trop fort. Un truc qu’on garde pour les fins de nuit.
En résumé
Arrow Through Me, c’est McCartney qui prend un virage soul-funk tout en douceur, loin du brouhaha, loin de la caricature. C’est une chanson discrète, élégante, un peu floue. Elle ne cherche pas l’effet, juste la sensation. Et c’est peut-être ce qui la rend précieuse aujourd’hui.
Pas besoin de crier pour viser juste. Une flèche bien placée, ça suffit.



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