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Country Dreamer : la sieste bucolique au creux d’un single oublié



Au rayon des douceurs du catalogue de Paul McCartney, Country Dreamer figure en bonne place. Cette ballade champêtre, sortie en face B du single Helen Wheels en octobre 1973, est l’équivalent musical d’un dimanche après-midi dans un pré humide, bottes aux pieds, sourire aux lèvres. Un petit luxe pastoral gravé à une époque où Paul et Linda s’étaient mis en tête de vivre en harmonie avec la nature… et avec quelques chevaux.


“I’d like to walk in a field with you / Take my hat and my boots off too” : dès l’intro, le ton est donné. On est loin des fastes de l’Abbey Road Studios – quoique le morceau y fut enregistré –, et bien plus proche du ruisseau écossais où l'on trempe ses pieds dans l’eau tiède du bonheur conjugal.


La campagne, Paul l’adorait – et la chantait


Inspirée par la vie rurale des McCartney dans leur ferme en Écosse, Country Dreamer partage l’esprit de Heart of the Country (sur Ram, 1971) : celui d’un homme qui, lassé des villes et des tournées, redécouvre le plaisir simple de vivre.


McCartney dira plus tard :

"On vivait loin de la ville. C’était génial. On voulait voir si on pouvait vivre par nous-mêmes, sans toute l’infrastructure urbaine. C’était un énorme changement de vie."


Cette envie de ralentir se ressent dans chaque accord du morceau. Présent à la guitare acoustique, Paul pose doucement sa voix sur une mélodie folk, enrichie par le jeu de Denny Seiwell à la batterie (jouée aux balais), les harmonies vocales de Linda et Denny Laine, et une pedal steel guitar signée Henry McCullough… qui, selon ses dires, n’en avait jamais touché une avant.


Un clin d’œil à Ivor Cutler ?


Le texte semble surgir d’un carnet de croquis bucoliques : champs, collines, ruisseaux, bottes qu’on retire, pantalons qu’on remonte, petits plaisirs qui sentent la mousse et la pluie fine. McCartney évoque même un hommage discret à Ivor Cutler, poète écossais excentrique qu’il admirait. Cutler avait écrit un morceau intitulé I’m Going in a Field – l’esprit est là : absurde, tendre, et vaguement surréaliste.



Une face B en décalage


Initialement prévue pour figurer sur Red Rose Speedway – dans sa version double album, qui fut rapidement écartée par EMI pour cause de doutes commerciaux – Country Dreamer a finalement atterri en face B de Helen Wheels. On pourrait croire à une chanson de rebut. Ce serait oublier que, chez McCartney, les “rebuts” sont souvent des merveilles cachées (Junk, Mama’s Little Girl, Warm and Beautiful…).


Enregistrée le 26 septembre 1972 aux studios Abbey Road, la chanson reste proche de sa démo de 1970. Quelques imperfections non corrigées (un cri hors micro, une hésitation à la basse) viennent même renforcer son charme rustique et son côté “fait maison”.


Helen Wheels : un road trip en Land Rover


La face A du single, elle, n’a rien de champêtre. Helen Wheels (jeu de mots sur “Hell on Wheels”) est le surnom donné par Paul et Linda à leur Land Rover, qui les traînait à travers l’Écosse jusque Londres.


Ce morceau est tout le contraire de Country Dreamer : nerveux, électrique, et rock. McCartney y retrace leur route : Glasgow, Carlisle, Kendal, Liverpool, Birmingham… – une sorte de road movie sonore. Et si Helen Wheels n’a pas atteint le rang mythique de la chanson de James Bond Live and Let Die, sortie quelques mois plus tôt, elle marque tout de même le retour de McCartney à un rock plus brut.


Un single entre deux époques


Ce single Helen Wheels / Country Dreamer, souvent considéré comme une simple transition entre deux projets, se révèle aujourd’hui comme une photographie fidèle de l’état d’esprit de McCartney à l’automne 1973. D’un côté, il a sorti Red Rose Speedway, un album perçu comme trop léger et inégal, mais qui contient quelques perles (My Love, Little Lamb Dragonfly). De l’autre, il sort 6 mois après Band on the Run, album magistral qui redéfinira sa carrière post Beatles.


La tendresse avant Lagos


Quand Paul part enregistrer Band on the Run à Lagos, au Nigeria, il laisse derrière lui un groupe en miettes (Seiwell et McCullough viennent de claquer la porte), mais emporte dans ses valises une philosophie née dans les prés écossais : faire simple, aller à l’essentiel.


Ce n’est peut-être pas un hasard si Country Dreamer sera réintégrée à la version américaine de Band on the Run, à la demande de Capitol Records. Comme un rappel : même quand Paul s’envole au bout du monde, il reste ce garçon qui aime marcher pieds nus dans les champs.


Dans l’ombre des mastodontes que sont Live and Let Die ou Band on the Run, Country Dreamer est une miniature oubliée. Pas un sommet d’écriture. Juste une invitation douce à ralentir, à aimer, à regarder couler un ruisseau.

Et dans le monde pressé, c’est parfois exactement ce qu’il nous faut.




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