Clapotis de soleil : la bossa perdue de Véronique Sanson
- L'Agent Secret des Chansons
- il y a 2 jours
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Clapotis de soleil, de Véronique Sanson, est de ces chansons qu’on découvre tard, comme des cartes postales jamais envoyées, retrouvées par hasard au fond d’un tiroir. Enregistrée en 1969, oubliée dans les archives, elle aurait pu disparaître pour de bon, si Véronique ne l’avait pas réenregistrée en 1998. Et c’est une chance. Parce que ce petit bijou solaire, à la croisée des tropiques et des tourments de jeunesse, est aussi le témoin d’une époque où une jeune femme cherche sa voix entre deux pianos, entre deux mondes.
1969 : Véronique, Michel et un amour en si mineur
On est à la fin des années 60. À Boulogne, dans un studio de Pathé-Marconi, Véronique Sanson enregistre ses premiers morceaux, sous le regard complice — et un peu exigeant — de Michel Berger. Leur histoire d’amour a le charme d’une série d’été : ils se sont connus enfants, retrouvés adolescents, tombés amoureux sur fond de Beatles, Cat Stevens et Sam Cooke. Elle rêve, il structure. Elle improvise, il relit. Elle s’enflamme, il canalise.
Les deux jouent du piano comme d’autres se séduisent : en s’impressionnant. Chaque semaine, ils se défient : “Moi j’ai écrit quatre chansons.” “Et moi trois.” Entre deux compositions, Michel lui fait réviser son bac. Elle le rate d’un souffle. Il lui parle de Pop Music en philo. Elle lui parle de Sérgio Mendes, qu’elle vient de découvrir. Coup de foudre musical pour elle : les rythmes brésiliens entrent dans sa vie comme une vague tiède et joyeuse. Pendant un an, elle ne compose quasiment que des bossas.
Clapotis de soleil : une bossa, une supplique
Clapotis de soleil naît dans cette effervescence. Une chanson comme un carnet de vacances qu’on aurait oublié de refermer. Guitares aux accents tropicaux, percussions légères, flûte espiègle et voix douce-amère.
La structure est simple, mais subtile : une boucle rythmique sur laquelle vient se poser une mélodie tout en ondulations, en demi-teintes, ponctuée par ces “clap clapotis de soleil”. C’est léger, mais pas creux. Le refrain tourne en boucle comme une obsession d’amoureuse dont le vague à l’âme persiste.
Véronique chante une rupture comme on écrit dans son journal intime : “Depuis que tu ne vis plus sous mon toit / La cuisine est en bien meilleur état… mais depuis je m’ennuie.” C’est tendre, un peu acide. Le whisky de papa remplace les larmes, mais la mélancolie perce derrière le sourire.
Une chanson à l’ombre des autres
Ce titre n’est pas seul. Avec Maria de Tusha, Vert Vert Vert et L’irréparable, Clapotis de soleil appartient à cette première fournée de chansons que Véronique enregistre en 1969, avant la sortie de son premier disque Le printemps est là, bien avant de percer avec Amoureuse. Des chansons que personne n’écoute vraiment à l’époque, sauf peut-être Michel, quelques proches, et sa mère Colette, qui sauve parfois précieusement les acétates comme on garde les dessins d’enfance.
Maria de Tusha est échappée d’un 45 tours (gravé mais jamais commercialisé) des Roche Martin, le groupe qu’elle avait formé avec sa sœur Violaine et François Bernheim. La chanson, qu'elle reprit également en 1998, est une bossa rêveuse, un peu psychédélique sur les bords. Quant à Vert Vert Vert et L’irréparable, elles réapparaîtront vite sur son premier album en 1972, transformées, plus amples, plus affirmées.
Ce qui frappe dans Clapotis de soleil, c’est déjà la signature Sanson : ce goût pour les ruptures d’ambiance, ce mélange d’ironie et d’émotion. Elle chante “tchiki tchiki tchik en si mineur” comme d’autres soupireraient une phrase d’amour.
Le Brésil dans le 16e arrondissement
Cette passion brésilienne ne s’arrête pas à ses chansons. Véronique compose aussi pour Isabelle de Funès, nièce de Louis, voix douce à qui Michel Berger offre trois 45 tours. Mon voisin, Une odeur de neige, Jusqu’à la tombée du jour : autant de petites perles au parfum de Copacabana, écrites seule ou avec Violaine, où l’on retrouve les harmonies exotiques que Sanson sème partout.
C’est une époque de laboratoire, elle tâtonne, cherche, expérimente. Rien n’est encore figé, sauf l’évidence : elle est faite pour ça. Pour composer. Pour chanter. Pour mêler le swing de la bossa aux brumes de la chanson française. Elle n’a pas encore trouvé la formule magique, mais les ingrédients sont tous là.
Et après ? Le tiroir se referme… puis s’ouvre à nouveau
Pendant des années, Clapotis de soleil dort dans les bandes. Pathé Marconi, peu séduit par ses chansons “un peu floues”, lui rend son contrat. Elle traverse le désert. Elle persiste.
En 1972, Amoureuse sort et c’est le choc. Une voix s’impose. Et avec elle, une langue, une vision. La Sanson flamboyante naît, avec les arrangeurs hors pair que sont Michel Bernholc et Michel Berger. En 2008, quand Et Voilà… L’intégrale est publiée avec 3 inédits, Clapotis de soleil version 69 refait surface. Et ce n’est pas qu’une archive : c’est une pièce du puzzle. La première empreinte d’un style singulier, audacieux, déjà très personnel.
Aujourd’hui, Clapotis de soleil est plus qu’une curiosité, c’est une chanson qui vibre encore. D'ailleurs personnellement, c'est une de ses premières chansons qui me touche le plus. On y entend l’appel d’une jeune femme vers l’ailleurs, vers l’amour, vers la musique. On y sent les premiers pas d’une géante, encore pieds nus, encore sur la plage, mais déjà prête à danser sur sa propre cadence.
Bravo ! Documenté, intelligent, sensible et drôlement bien écrit.