Le Printemps est là : quand Véronique Sanson prend son élan
- L'Agent Secret des Chansons
- 7 avr.
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Il y a des débuts qui claquent comme un tonnerre, et d’autres plus discrets, comme un matin de printemps encore ralenti par l’hiver. En 1969, Véronique Sanson entre en solo dans la grande histoire de la chanson française, non pas avec un feu d’artifice, mais avec une chanson au parfum trompeur : Le Printemps est là. Un 45 tours en demi-teinte, déjà signé d’une plume singulière. Et surtout, un faux départ qui en dit long.
Sunny Goodge Street ou la mémoire qui flanche
L’anecdote vaut d’être racontée. À l’époque, Véronique est jeune, talentueuse, amoureuse de Michel Berger, un peu éparpillée aussi, comme on peut l’être à vingt ans. Elle compose Le Printemps est là, croit-elle. Elle y met toute sa sincérité. Mais une fois le disque pressé, quelqu’un lui fait remarquer que sa mélodie ressemble étrangement à Sunny Goodge Street de Donovan (chanson de 1965 de son album Fairytale). Panique à bord. Et gros feutre noir sur les crédits de la pochette, pour masquer l’enthousiaste “Paroles et musique : Véronique Sanson”. On crédite Donovan, et on fait comme si tout cela n’était qu’un regrettable malentendu. Ce qu’il est, au fond.
Mais ce clin d’œil involontaire à l’Écossais bohème raconte aussi beaucoup de l’univers de Véronique, ce patchwork d’influences anglo-saxonnes, cette façon bien à elle de chanter l’amour dans un flou sensible, sans appuyer.
Un faux départ, mais pas de fausse note
La chanson elle-même est un drôle d’oiseau. Avec ses vers qui balancent entre une lumière printanière et les souvenirs d'un amour passé — le whisky-soda, les bonbons noirs, les malentendus. On réapprend à sentir, à “redécouvrir le temps perdu”. Un texte qui plane, à la lisière du rêve et du chagrin. Pas mal pour une artiste encore inconnue, mais déjà habitée.
L’arrangement signé Christian Bellest ajoute une touche jazzy, trompette discrète et tempo feutré. Ce n’est pas encore la Sanson flamboyante, mais les bases sont là. Elle apprivoise son timbre. Elle se prépare.
Le Feu du Ciel : la face B qui brûle
Sur l’autre face, une ballade mélancolique arrangée par Hubert Rostaing (ancien complice de Django Reinhardt), où Véronique Sanson commence à vraiment apparaître. Mais la voix est étrange, grimpe dans des envolées aiguës, avec un vibrato en quête d'équilibre, inspiré par Dionne Warwick (c’est elle qui le dit, mais sans l’avouer trop fort). Le texte évoque l’absence, la douleur rentrée, l’amour bien sûr — toujours l’amour.
Ce morceau en tout cas, elle le gardera longtemps. Elle le rechantera même, cette fois d’une voix assurée, sur son album Sans Regrets en 1992. Comme une preuve que quelque chose brûlait déjà. Et pas juste une étincelle.
Pathé Marconi n’y croit pas (évidemment)
À la sortie du 45 tours, l’accueil est tiède. Peu de passages radio, peu d’échos. Les pontes de Pathé Marconi, peu convaincus, “rendent son contrat” à Véronique. Formule polie pour dire qu’on ne la sent pas, cette fille qui joue du piano comme un garçon et qui écrit des trucs un peu brumeux. Ils passent à autre chose. Ils ne voient pas ce qui couve.
L’explosion à venir
Et pourtant, deux ans plus tard, elle revient dans le métier par la grande porte avec Amoureuse. La révélation. L’accord parfait entre textes intimes et arrangements pop sophistiqués. C’est la Véronique Sanson que la France découvre, comme si elle débarquait de nulle part, alors qu’elle était déjà là, dans l’ombre. Entre-temps, elle a traîné ses partitions dans les appartements de Michel Berger, elle a composé des mini-symphonies pour flûtes et clarinettes, elle a écouté Elton John, ELP, Sergio Mendès, et s’est abreuvée de musique.
Et aujourd’hui, Le Printemps est là reste une preuve de ces débuts officiels, une curiosité discrète mais touchante. On peut y voir un emprunt maladroit, un brouillon, ou au contraire une empreinte précieuse : celle d’une artiste en plein tâtonnement, mais déjà habitée, déjà vraie.
Alors oui, le printemps était là. Et il n’allait plus repartir.
Photo © Jean D’Hugues, 1969
Bravo ! Documenté, intelligent, sensible et drôlement bien écrit.