Black holes - Amanda Lear, les trous noirs et le disco quantique
- L'Agent Secret des Chansons
- 12 août
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 août

On connaît Amanda Lear pour beaucoup de choses : sa voix grave qui semble avoir fumé toutes les cigarettes de Marlene Dietrich, son amitié surréaliste avec Salvador Dalí, son goût pour brouiller les pistes sur sa date de naissance… et, bien sûr, ses chansons disco qui transforment n’importe quel salon en piste de danse de Studio 54.
Mais parmi ses pépites de la fin des seventies, il y a un morceau qui a l’élégance de combiner science-fiction, physique quantique et groove électro-disco : Black Holes. Une chanson B-side, certes, mais une B-side comme on n’en fait plus.
Munich, paillettes et astrophysique
Nous sommes en 1978. Amanda Lear est au sommet de son âge d’or disco, enchaînant après Follow me les tubes comme d’autres les soirées mondaines. Elle enregistre Never Trust a Pretty Face, son troisième album, à Munich, au Musicland Studios — là où passent aussi Giorgio Moroder, Donna Summer ou Elton John. Aux manettes : Anthony Monn, fidèle producteur et partenaire de crime musical.
L’album est un patchwork maîtrisé : disco sur-vitaminé (Fashion Pack), ballades mystérieuses (The Sphinx), cabaret tordu (Miroir), et expérimentation électro-futuriste avec Black Holes.
Oui, en 1979, pendant que la NASA planchait sérieusement sur l’existence des trous noirs, Amanda, elle, avait déjà réglé la question : c’est une métaphore pour les amours qui aspirent tout sur leur passage. Einstein aurait approuvé — ou dansé, qui sait.
Black Holes : amour gravitationnel
La chanson commence comme un rêve interstellaire : nappes de synthé, pulsation hypnotique, et cette voix mi-vamp, mi-prof de physique quantique. Les paroles sont claires : un amour qui vous avale plus vite qu’un Big Mac dans un accélérateur de particules. « Your love is consuming my nights, my life… you’re a singularity. »
Traduction : le mec (ou la femme) est tellement intense qu’il ou elle déforme l’espace-temps sentimental.
On y trouve tout : étoiles effacées, univers terrifié, dimensions inconnues… C’est Star Wars sous acide, avec des paillettes en bonus.
Le couple cosmique : Black Holes & Fashion Pack
Les mortels initiés ont découvert Black Holes sur l’album mais aussi comme face B du 45 tours Fashion Pack. Et là, c’est un grand écart artistique olympique.
Sur la face A donc : Fashion Pack, ode à Studio 54, Manhattan en furie, nuits blanches et champagne à gogo, avec name-dropping d’Andy Warhol, Bianca Jagger, Liza Minnelli, Yves Saint Laurent… et même le verbe “travolting”, invention pure Learienne pour désigner le fait de se trémousser comme John Travolta.
Sur la face B : une méditation cosmique sur l’amour-trou-noir. Comme si, après avoir dansé toute la nuit avec Halston et Paloma Picasso, Amanda finissait sur le toit, cigarette au bec, à regarder les étoiles en philosophe glitter.
Never Trust a Pretty Face : la pochette qui pique
L’album qui contient ces deux perles n’a pas seulement marqué par sa musique. Sa pochette est un chef-d’œuvre de marketing arty : Amanda, en sphinx / ange blond, ailes blanches et queue de serpent. Allégorie biblique ? Coup de pub ? Les deux, mon capitaine.
Au dos, elle pose en smoking façon Dietrich, prouvant qu’elle peut tout incarner — l’ange, le démon, et tout l’éventail entre les deux. Cette ambiguïté est l’ADN de Lear : toujours un pas de côté, toujours prête à brouiller les pistes.
Disco Lear : de Dalí à Studio 54
Ce qui rend cette période d’Amanda fascinante, c’est qu’elle navigue entre deux univers qui ne devraient jamais se croiser :
L’art surréaliste : muse officielle de Salvador Dalí pendant presque vingt ans, elle a hérité de lui le goût du mystère et de l’autodérision. Black Holes lui est d’ailleurs dédié.
Le dancefloor international : reine des charts en Europe, chouchoute des plateaux télé, elle incarne un disco à la fois chic, ironique et un brin décalé.
Amanda Lear, c’est ce moment précis où la culture pop et la haute culture se font un clin d’œil complice, avant de repartir chacun de leur côté.
Pourquoi Black Holes est culte (même si vous ne le savez pas)
Soyons honnêtes : Black Holes n’a pas eu le destin commercial de Follow Me. Mais dans le microcosme des fans, c’est un bijou rare. Sa production minimaliste, ses sonorités électroniques avant-gardistes et ses paroles quasi-poétiques la rendent étrangement moderne.
On pourrait la passer telle quelle dans un DJ set électro-pop en 2025 et personne ne devinerait qu’elle date de 1979.
Et puis, avouons-le, il y a un plaisir coupable à entendre Amanda Lear parler de singularité et d’univers qui s’efface, avec la même intensité qu’elle met à évoquer Andy Warhol ou Maxim’s. Comme si la mode et la cosmologie n’étaient que deux disciplines d’un même grand art : celui de briller dans l’obscurité.
Épilogue
En 1979, Amanda épouse Alain-Philippe Malagnac, aristocrate mondain, sous les regards noirs (et probablement amusés) de Dalí et Gala. Sa vie privée devient un roman à épisodes, mais sur vinyle, elle reste fidèle à son mélange d’élégance glacée et de second degré.
Black Holes est l’une de ces chansons qui montrent que même au sommet du disco, Amanda ne se contentait pas de suivre la vague : elle construisait ses propres constellations.
Alors, la prochaine fois que vous mettrez un vieux 45 tours de Lear, retournez-le. Oubliez un instant le champagne et les paillettes de Fashion Pack. Écoutez Black Holes. Fermez les yeux.
Et laissez Amanda vous emmener là où même la lumière ne revient pas… mais où la musique, elle, brille encore.
