Amanda Lear – Mon Alphabet : la maîtresse d'école du disco.
- L'Agent Secret des Chansons
- il y a 7 jours
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Avant de chanter, Amanda Lear avait déjà vécu plusieurs vies, toutes plus invraisemblables les unes que les autres. Muse de Dali, amie de Bowie, mannequin pour Paco Rabanne, cover girl pour Roxy Music : elle avait traversé les années 60 et 70 comme une héroïne de roman photo surréaliste. Une James Bond girl échappée du musée. Et le plus beau, c’est que tout cela était vrai, ou presque, ce qui revient au même avec Amanda.
En 1976, alors que Donna Summer fait fondre les pistes de danse, elle débarque en Allemagne, terre promise du disco. Munich devient son nouveau terrain de jeu, Ariola son label, et Anthony Monn son pygmalion musical. La voix est grave, ironique, avec un accent franco-anglais traînant. Elle parle plus qu’elle ne chante, mais c’est justement ce qui la rend unique : Amanda n’interprète pas une chanson, elle raconte une attitude.
Son premier single La Bagarre, adaptation du Trouble d’Elvis Presley (et inspirée de la version française de Johnny) avait annoncé la couleur : une voix unique, un humour décalé, un personnage plus grand que la chanson. On y sentait déjà cette distance ironique, ce goût du second degré, comme si Amanda chantait toujours entre guillemets.
La muse devient mythe
Dali lui avait enseigné l’art du mystère; Bowie, celui de la métamorphose. De ces deux maîtres, elle garde le goût du théâtre et du camouflage. Amanda Lear n’est jamais exactement celle qu’on croit : ni top model, ni chanteuse, ni actrice, mais tout cela à la fois, avec une distance royale.
Quand elle sort son premier album I Am a Photograph en 1977, le titre est une déclaration d’intention. “Je suis une image”, dit-elle, comme si elle se moquait d’avance de ceux qui voudraient la réduire à sa plastique. L’album, produit à Munich par Monn, mélange disco, pop synthétique et humour pince-sans-rire. Sur la pochette, elle fixe l’objectif avec ce sourire carnassier qu’on retrouvera partout : celui d’une femme qui sait parfaitement ce qu’elle fait.
Le disque aligne les futurs classiques, Blood and Honey, Queen of Chinatown, Tomorrow et au milieu de tout ça, une drôle de leçon de choses : Alphabet (Prelude in C by J.S. Bach). Une chanson signée par Monn et elle, où Amanda se met à réciter l’alphabet sur une boucle de Bach, version disco. Rien que ça.
“A stands for anything…”
Chez Amanda Lear, la provocation n’est jamais gratuite : c’est une posture artistique. En égrenant “A stands for anything, B for bionic, C for claustrophobia...”, elle dresse le portrait d’une société hystérique, la sienne, celle des années 70, coincée entre progrès et panique, sexe et science-fiction.
C’est de la philosophie de discothèque, dite avec le ton d’une prof d’anglais désabusée. On rit, on réfléchit, on bouge la tête. Bach, Amanda et le disco dans la même phrase : le monde venait d’atteindre son apogée absurde.
La version française : un alphabet en talons aiguilles
En France, Amanda décide d’aller plus loin avec Mon Alphabet, version francophone sortie sur la face B de Tomorrow. Elle y déclame, avec ce ton d’institutrice lascive, un alphabet “appris dans les manchettes de vos journaux et les inscriptions écrites sur vos murs”. Elle récite :
“D, c'est pour le divorce, le dégoût, la douleur …F, c'est notre folie… I, c'est pour tes insultes et pour tes idioties...”
C’est l’alphabet d’une époque en crise, passé à la moulinette glamour. Derrière la provocation, il y a de la lucidité : Lear décrit le désenchantement d’un monde post-68 qui a perdu la boussole. Elle observe, commente, et surtout s’amuse. On y croise la bombe, le hijacking, la parano, le rock, la vengeance et Histoire d’O. Bref, tout ce qui fait chavirer le monde en 1977.
Elle sortira également une version italienne du titre.
Une œuvre pop avant la lettre
Ce qui frappe, c’est à quel point Amanda Lear avait tout compris avant tout le monde : la mise en scène, l’autodérision, la maîtrise de l’image. Elle ne chantait pas seulement des refrains, elle écrivait son propre mythe. I Am a Photograph est un album pop au sens littéral : un autoportrait, un collage, un miroir truqué.
Dans Mon Alphabet, elle s’invente un monde à sa mesure : plein de mots, d’idées et de contradictions. L’abécédaire devient autoportrait drôle, lucide, parfaitement stylé.
Et comme toujours, l’humour fait office de bouclier. Là où d’autres divas se confessaient en pleurant, Amanda Lear préférait réciter son alphabet avec un sourire. On ne sait jamais si elle se moque d’elle-même ou de nous, et c’est précisément ce qui la rend fascinante.
La morale de l’histoire
Si Mon Alphabet devait être résumé en une phrase, ce serait celle-ci : “Je me fous de tout, mais avec élégance.”
Amanda Lear a traversé la mode, le disco, la télé, les années 80 et les rumeurs avec la même devise : tout prendre au sérieux, sauf soi-même.
En 1977, elle sortait d’un monde d’artistes, de peintres et de rock stars pour plonger dans celui des tubes et des 45 tours. Et elle l’a fait sans perdre son mystère. Mon Alphabet, c’est peut-être la chanson d’Amanda Lear où l’on entend tout : l’intelligence, la distance, la séduction, la provocation. Une femme qui a tout vu, tout compris, et qui continue d’en rire. Son “Z, mon cher ami, c’est pour le zéro que je te donnerai si tu n’apprends pas bien ce nouvel alphabet” sonne un peu prof, un peu dominatrice. Amanda, c’est la maîtresse d’école des enfers disco.
Et c’est juste pour mieux rappeler qu’à la fin, c’est toujours elle qui donne les notes.
