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Véronique Sanson – Redoutable : le piano comme arme blanche

Dernière mise à jour : il y a 10 heures


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« Cette chanson que je vais vous chanter, je l’ai faite il y a trois jours dans la nuit. C’est triste. »


Février 1975, Olympia. Véronique Sanson est là, seule face à son piano, le cœur brûlant. Trois jours plus tôt seulement, elle a griffonné les premières lignes de Redoutable. Pas une maquette, pas un embryon, mais déjà une chanson complète, brute, jaillie comme une coulée de lave. Quand elle la joue pour la première fois, contre l’avis de son entourage car la chanson n’est pas encore déposée, la chanteuse avouera plus tard s’être fait pleurer elle-même. Et le public, lui, a compris qu’il assistait à la naissance d’un morceau pas comme les autres.


Les coulisses d’un disque qui n’existait pas encore


1975 est une année étrange pour Sanson. Elle rentre d’Amérique, passe Noël dans le Colorado avec Stephen Stills et leur jeune fils, remonte sur scène à Paris, puis disparaît des radars. Elle écrit peu, broie du noir, son couple se délite. Les chansons ne viennent plus. Ce qu’elle vit ressemble à une panne sèche.


C’est à ce moment qu’entre en scène Bernard Saint-Paul, ex-DA de Pathé-Marconi. L’homme a du flair : il a déjà repéré Gilbert Montagné et son The Fool. À l’époque, il croise Véronique Sanson au détour d’un dîner, puis l’invite à réfléchir sérieusement à un nouvel album. Elle accepte, sans grande conviction. Résultat : Saint-Paul enferme la chanteuse au château d’Hérouville, piano en guise de seule compagnie. Quelques jours à taper sur les touches jusqu’à ce qu’une chanson s’impose : Vancouver.


C’est le déclic. Derrière suivront d’autres morceaux, qui tous viendront rejoindre Redoutable, qui lui-même deviendra la face B du 45 tours Vancouver ainsi qu’un pilier discret de l’album du même nom.


Vancouver : la tempête anglaise


Enregistré début 1976 au studio Trident de Londres, l’album Vancouver n’est pas un disque bricolé. Autour de Véronique, un casting solide : Simon Phillips à la batterie (futur Toto), Mo Foster à la basse, Ray Cooper aux percussions, plus une escouade de guitaristes anglais et français. Le décor est londonien, mais l’inspiration reste américaine : on entend le souffle des plaines, le goût des routes interminables.

Détail assez drôle : Saint-Paul ayant peur que les bandes soient abîmées aux scanners de l'aéroport au retour de Londres, avait fait fabriquer des valises spéciales contre les rayons X…


L’album sort le 27 février 1976. Rock & Folk s’enthousiasme : « Tout au long de Vancouver, Véronique Sanson chante l’Amérique, sa vie et ses sentiments avec une ferveur et une sensibilité qui vous étreint. »


Certifié disque de platine (plus de 400 000 exemplaires vendus à ce jour), Vancouver s’installe comme l’un de ses disques phares. On y trouve entre autres Une maison après la mienne (signée de sa soeur Violaine), l’étrange Sad Limousine, et le beau titre funky Full Tilt Frog.


Mais surtout, entre deux éclats d’énergie et des paysages fantasmés, on croise la morsure de Redoutable.


Redoutable : anatomie d’une plaie vive


Pas de fioritures. Redoutable est construite comme un cri étouffé. Piano martelé, mélodie mouvante qui occupe tout le clavier, et des paroles qui oscillent entre désespoir et colère :

« Tu m’as rendue redoutable mais je suis si vulnérable… »


Voilà toute la contradiction de l’artiste. Une femme transformée par l’amour en bête féroce, mais qui reste, au fond, d’une fragilité extrême. La chanson décrit la métamorphose douloureuse que provoque une relation qui vacille. On devine Stills derrière les mots, mais on entend aussi le dialogue à distance avec Michel Berger, l’homme qu’elle n’a jamais cessé de croiser artistiquement, même après leur rupture.


D’ailleurs, Véronique le dira elle-même, des années plus tard : « Avec Michel, on ne se parlait plus que par chansons. Il écrit Ce que la pop music a fait d’une petite fille, je réponds : Tu m’as rendue redoutable. Il demande Seras-tu là ?, j’enregistre Je serai là. Mais on ne se voyait plus jamais. »



La chanson sur scène


Dès sa création à l’Olympia en 1975, Redoutable s’impose dans le répertoire live de Sanson. On la retrouve dans Live at the Olympia (1976), où elle explose au milieu d’une tracklist flamboyante. Sortie seulement en 2015, la captation de l’Olympia 1975 permet de redécouvrir cette version première, encore hésitante dans ses mots mais déjà poignante dans sa musique. Elle jouera également souvent ce titre en TV et en radio, avec des ponts piano différents et d’une virtuosité exceptionnelle. Et en 2018, en duo avec Hubert-Félix Thiéfaine sur Duos volatils. C’est aussi une des rares chansons où la chanteuse admet avoir pleuré sur scène en la chantant. Et chez elle, ce n’est pas une coquetterie : c’est une manière de dire que la sincérité a pris le dessus sur la maîtrise.


Une arme blanche dans un album lumineux


On pourrait croire que Redoutable détonne dans Vancouver. En réalité, elle en est l’ombre portée. L’album balance entre ouverture (le morceau-titre, qui invente un Canada intérieur), groove (Donne-toi), illusion (Étrange comédie), et éclats pop (Tu sais que je t’aime bien). Mais à chaque écoute, c’est Redoutable qui tranche. Comme une lame, fine et douloureuse, glissée au milieu d’un disque plus lumineux.


Elle est le contrepoint, la mise en garde : derrière la poésie, derrière les grands espaces, il y a la réalité crue d’une femme qui se bat contre ses démons, ses désillusions et ses colères.


Conclusion : l’art de la cicatrice


Redoutable reste l’une des clés de voûte du répertoire de Véronique Sanson. Parce qu’elle condense tout : la vulnérabilité, la force, le dialogue impossible avec Michel Berger, les blessures d’un couple en train de sombrer, et cette capacité incroyable à transformer la douleur en art.


Quand elle chante Tu m’as rendue redoutable mais je suis si misérable, on n’entend pas seulement une femme qui souffre. On entend une artiste qui a décidé que ses cicatrices seraient sa musique. Et c’est peut-être ça, la véritable définition du rock.


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