Véronique Sanson – "Les Délices" et "Les Délires d’Hollywood" : quand la Côte Ouest joue les montagnes russes
- L'Agent Secret des Chansons
- 1 juil.
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1977 : Véronique Sanson vit le rêve américain, version studio. À Los Angeles, elle enregistre Hollywood, un album aussi brillant qu’introspectif, aussi black que californien. Au cœur de ce disque, deux morceaux se répondent comme le jour et la nuit : Les Délices d’Hollywood et Les Délires d’Hollywood. Deux titres miroirs, deux humeurs, deux chansons pour raconter une ville qui fascine autant qu’elle égare.
Les Délices d’Hollywood : la carte postale avec paillettes
Tout commence bien. Très bien même. Les Délices d’Hollywood s’ouvre comme un conte moderne. Un jeune homme quitte ses quartiers tristes pour traverser l’Atlantique, découvre les grands espaces américains, tombe amoureux d’une fille aux yeux fous (forcément), et atterrit dans une ville en technicolor où “quand on y danse, on y danse comme des fous”.
La chanson roule comme une Cadillac : rythmique souple, chœurs en boucle, arrangements qui scintillent. C’est pop, c’est funky, c’est limite euphorique. On y sent l’excitation de Sanson dans ce nouveau terrain de jeu. Dans les studios d’Elektra puis de Crystal Sound, elle s’offre les meilleurs musiciens de L.A., et surtout une liberté totale.
Dans une interview, elle résume l’esprit du morceau : “Les délices d’Hollywood, c’était le fait d’aller faire de la musique tous les jours, de partager les choses avec les musiciens. On était bien, on partait tous les jours avec la banane pour aller jouer avec des gens formidables. Là, je me disais : ‘quand même, merci mon Dieu !’” Rien à ajouter.
Mais derrière l’énergie solaire, un détail grince : Véronique vit alors à Bel Air, quartier huppé et policé, et le déteste. “Un ghetto de milliardaires habillés pareil, qui parlent pareil”, dit-elle dans Paris Match. Alors les délices, oui, mais surtout en studio.
La chanson fut jouée sur scène en 1993 (et sorti sur CD single live) avec un percussionniste incroyable, Richie Gajate Garcia, qu'elle surnommait El Pulpo!
Les Délires d’Hollywood : retour à la réalité
Et puis, à la toute fin de l’album, le vent tourne. Les Délires d’Hollywood, c’est 1 minute 15 de mélancolie suspendue. Rien que le titre annonce la bascule : des “délices” au “délire”, il n’y a qu’un pas… ou une gueule de bois.
Martin habite “sous le quatrième pont”, loin de Brooklyn. Il “n’a plus toute sa tête”. La musique tambourine, mais plus personne ne danse. Les cloches sonnent sous la pluie. Ce n’est plus une ballade, c’est un appel à l’aide.
Véronique dira : “Les délires d’Hollywood, c’est quand je n’étais pas bien, quand j’avais envie de rentrer. C’est une toute petite chanson, un petit coucou à un sentiment de mal-être.” Ce n’est pas une conclusion, c’est une lucidité brève, murmurée au fond du disque comme on laisserait une note sur un frigo : “Je suis là, mais pas trop longtemps.”
Pour la petite histoire, selon un manuscrit retrouvé depuis, les quatre premiers vers datent des années 60 à l’époque des Roche Martin… Elle ne la jouera sur scène pour la première fois que 47 ans plus tard en rappel de sa tournée 2024 et au Grand Rex.
Un album en zigzag, comme une vie
Entre ces deux chansons, c’est tout l’album Hollywood qui défile comme une journée californienne : beau temps, embouteillages, coucher de soleil, crise existentielle. Le disque commence par un coup de maître : Bernard’s Song (Il n’est de nulle part), groove épique dédié (ou pas, selon les versions) à Bernard Saint-Paul, producteur et fidèle compagnon artistique. Puis s’enchaînent les compositions riches, parfois explosives, souvent très personnelles : Comment crois-tu que la musique vienne, J’ai perdu ton adresse, Y’a pas de doute il faut que je m’en aille, Féminin…
C’est à la fois ambitieux et instinctif. Produit sur les traces de Stevie Wonder avec ses musiciens, le piano de Sanson est cependant partout. Les arrangements de Madaio sur les cuivres, de Blumberg sur la batterie et de Jimmie Haskell sur les cordes donnent au disque un son large, presque orchestral. Parfois trop, diront certains critiques. Et c’est vrai que certains titres paraissent un peu chargés. Mais on ne fait pas un disque à Hollywood pour sonner comme à Boulogne-Billancourt… Ceci-dit, les choeurs sont assurés par deux petits Frenchies fidèles que Véronique a expatriés le temps de l’enregistrement : Alain Chamfort, qui va apporter à la plupart des titres un soutien subtil sans accent américain, et Eric Estève sur How many lies, qui réussit avec elle, selon le producteur, "THE blend".
Le contraste en deux titres
Ce qui rend ce disque si attachant, ce sont ces tensions internes. Et Les Délices d’Hollywood face aux Délires d’Hollywood, c’est exactement ça. Le matin, elle est à fond, les cheveux au vent, prête à écrire des tubes. Le soir, elle est seule dans la cuisine, le regard dans le vide, et les oiseaux sont partis.
On sent chez Véronique Sanson une lucidité sur son époque, sur elle-même, sur la ville qu’elle habite. Le rêve et le désenchantement, le champagne et l’ennui derrière les palmiers. Ce n’est pas un hasard si Les Délices d’Hollywood et Les Délires d’Hollywood sont mes chansons préférées de l’album. Elles résument ce que Sanson a de plus rare : ce mélange de force et de fragilité.
En conclusion : on y danse, on y pleure
Hollywood n’est pas l’album le plus connu de Véronique Sanson. Il a été parfois critiqué, jugé trop “américain”, trop produit, trop clinquant. Mais c’est aussi un album où elle met son cœur, ses contradictions, ses certitudes et ses fêlures.
Et Les Délices et Les Délires d’Hollywood sont comme les deux extrémités d’un même fil. L’un vous donne envie de danser, l’autre de disparaître sous la couette. Véronique Sanson n’a jamais mieux capté l’ambiguïté de l’exil. Alors, qu’on préfère les nuits dorées ou les jours sans lumière, une chose est sûre : à Hollywood, Véronique Sanson a trouvé bien plus qu’un studio. Elle y a trouvé sa maturité musicale. Et nous, quelques sacrément belles chansons.
Photo : Antonin Kratochvil
Formidables écrits ! Bravo pour votre style et votre prose. Oui vraiment !
Excellent article qui nous fait voyager dans l’univers de Véronique Sanson. Un univers riche et singulier pour l’une des seules et rares auteure compositrice de son époque.