"Mi-maître, mi-esclave" : Véronique Sanson, en équilibre instable
- L'Agent Secret des Chansons
- 20 juin
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Dernière mise à jour : 21 juin

En 1979, Véronique Sanson a 30 ans, un divorce californien sur les bras, un enfant à protéger, et une pochette où elle rit. Enfin. Sur le papier glacé de 7ème, c’est une Sanson lumineuse, détendue. Une image qui contraste avec la gravité des chansons qu’on trouve derrière. Car en réalité, ce disque, c’est tout sauf une parenthèse enchantée. C’est un album de lutte et de lucidité, forgé entre l’Arizona, Los Angeles et un retour à Paris en mode urgence. Et au milieu, trône un titre à la fois discret et colossal : Mi-maître, mi-esclave.
Tout commence par un divorce (et ce n’est pas une ballade romantique)
Septembre 1978. Stephen Stills et Véronique Sanson mettent fin à leur mariage devant un tribunal californien. La bataille pour la garde de leur fils Christopher s’annonce longue, pénible. Elle l’obtient, à condition de rester domiciliée aux États-Unis. Ambiance.
Cette période, Sanson la qualifiera elle-même d’« horrible, invraisemblable ». Et pourtant, la machine ne s’arrête pas. Elle enregistre deux titres inédits à Londres fin 78, dont Ma révérence, bijou absolu qui sortira en single début 79. Et dans la foulée, elle commence à bosser sur son prochain album. Entre deux avions et un planning digne d’un chantier autoroutier.
Dans le désert, des chansons naissent
C’est au cœur de l’Arizona, à Tucson, qu’elle s’isole quelques semaines, avec son nouveau compagnon, Bernard Swell, musicien comme elle, pour écrire les chansons de 7ème. « Je me disais que j’allais bientôt revoir Paris et l’Olympia », dira-t-elle pour se donner du courage. Car un retour scénique est prévu à l’automne, en parallèle de la sortie du disque. Et tout est encore à faire.
Elle enregistre d’abord avec le Bob Meighan Band, rencontré sur place. Mauvaise idée : excellents sur scène, mais trop flous en studio. Il manque la précision, la tension, la rigueur. Alors elle recommence, appelle d’autres musiciens. Puis refait les voix. Puis revient à Paris, les enregistre de nouveau. Puis remixe. Puis affronte les critiques de ceux qui l’accusent de snober la France depuis qu’elle vit aux États-Unis.
Bref : l’album sort avec deux mois de retard, mais il sort. Le 14 novembre 1979. Il s’appelle 7ème, parce que c’est son... sixième disque studio (mais il y a eu un Live entre-temps).
Mi-maître, mi-esclave, ou l’art de tomber debout
Dans cet album, on trouve Mi-maître, mi-esclave, sorti aussi en face B d’un single plus funky : Celui qui n’essaie pas (ne se trompe qu’une seule fois). Pas le tube, pas la vitrine. Mais une chanson qui, pour Véronique, compte plus que toutes les autres : « Plus je la chante, mieux je la chante. »
Dès les premières mesures, on sent le froid. Ce n’est pas une chanson d’amour. C’est une chanson de survie. Sanson y marche dans la neige, traîne un cœur qui meurt, rêve d’air, rêve d’exister. Une femme seule, figée dans son cauchemar.
Quand on est seul, on est mi-maître, mi-esclave / D’une liberté indiscutable.
Et c’est là que la chanson frappe fort. Parce qu’elle dit tout : la solitude comme espace de pouvoir et de souffrance. Le vertige de se sentir libre... Le poids du choix, quand plus personne ne décide pour vous. C’est dense, mais jamais plombant. Parce que Véronique, même à terre, reste droite. Parce qu’elle a l’élégance d’écrire des choses cruelles sans jamais se plaindre.
Entre deux tempêtes, un disque dense
7ème est un album inégal, mais cohérent dans sa complexité. On y trouve : de la pop orchestrée, du funk, un instrumental inattendu (Lerida), une chanson pour sa mère (Pour celle que j’aime), des respirations disco-légères (Si je danse pour toi). C’est un disque de contrastes. Comme si Sanson refusait de choisir entre spleen et survie, entre introspection et plaisir.
Au centre, il y a Ma révérence, sommet absolu de tristesse lucide. Bernard Saint-Paul, son producteur, avouera avoir pleuré en cachette pendant le mixage. C’est dire la charge.
Mais Mi-maître, mi-esclave n’est pas loin derrière. Elle est moins citée, mais tout aussi forte. Elle incarne à elle seule ce que Sanson traversait à l’époque : ni victime, ni bourreau. Mi-maîtresse de son destin, mi-esclave de ce qu’elle ne peut pas changer.
Une chanson qui continue de brûler
Sur scène, Mi-maître, mi-esclave prend une autre dimension. On peut l’entendre dans Comme ils l’imaginent (1995) ou dans l’album live Olympia 2005. À chaque fois, la chanson a gagné en tension, en rage sourde. Comme si elle avait été écrite pour durer. Pour vieillir avec elle.
Là, c'est un live télévisuel de 1979 (avec un mémorable solo de clarinette) :
Cette chanson est intemporelle. Elle parle de solitude, de choix, de fatigue morale, de dignité abîmée. Des choses qui ne passent pas de mode. Et chez Sanson, ça sonne toujours juste. Parce qu’elle sait que l’intime, quand il est bien écrit, touche tout le monde.
1979, année-pivot
Avec 7ème, Véronique Sanson entre dans une nouvelle phase, avec classe, exigence, sensibilité. Cet album n’a pas la fluidité pop d’Amoureuse, ni la force brute du Maudit. Mais il est terriblement humain. Plein de contradictions. Comme son autrice.
Et Mi-maître, mi-esclave, dans tout ça, reste le cri étouffé de quelqu’un qui veut rester debout. Parce que oui, la fin du monde est peut-être pour demain. Mais en attendant, il y a les chansons. Et chez Véronique Sanson, ça vaut toutes les armures.
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