Patrick Juvet – Still Alive : la vie après le disco
- L'Agent Secret des Chansons
- 12 oct.
- 4 min de lecture

En 1980, Patrick Juvet n’est plus le playboy disco qui faisait danser la planète. L’époque des vestes argentées est passée de mode. Autant dire que Lady Night, son album de 1979, était arrivé comme la dernière flamme d’un genre qu’on enterre à coups de funk synthétique.
Mais Patrick revient un an plus tard avec un disque au titre presque ironique : Still Alive. Toujours en vie, oui, mais plus vraiment sous les projecteurs.
La fin d’un monde qui brillait trop
On aurait pu croire que Juvet allait raccrocher son micro, rentrer à Montreux et élever des pivoines. Mais non : il s’enferme dans les studios hollywoodiens de Rusk puis au Mountain Studio de Montreux (le même que Queen…) pour réaliser un album ambitieux, produit comme un film, mixé numériquement sur un tout nouveau système à la pointe de la technologie de l’époque.
Le duo Henri Belolo / Jacques Morali, ceux qui avaient transformé YMCA en hymne planétaire et qui avaient produit ses deux LP américains, sont toujours là, mais l’époque a changé : plus question de refaire du Village People bis. L’équipe américaine qui entoure Patrick, Thor Baldursson aux arrangements, Lee Ritenour à la guitare, Keith Forsey à la batterie, Michael Boddicker aux synthés, annonce la couleur : ce sera pop-rock, ample, digital, dramatique. Et un peu désespéré aussi.
Le projet d’un homme qui se regarde vivre (et survivre)
Selon Juvet lui-même, Still Alive devait être un album-concept sur la mort et la réincarnation. Patrick, qui n’a jamais fait dans la modestie, imagine un disque où il se tue dans un accident de voiture pour mieux revenir à la vie. Un projet introspectif, très new age dans l’âme, et surtout très cher. On parlait même, dans une interview de l’époque, d’une adaptation scénique en comédie musicale. On imagine la chose : Patrick sortant d’un tunnel de lumière en combinaison blanche, chantant sa renaissance devant un chœur cosmique.
Mais voilà : personne ne verra jamais ce spectacle. L’album coûte une fortune, et ne rapporte presque rien. Le public n’est pas au rendez-vous, la presse boude, et Still Alive devient vite un secret bien gardé pour collectionneurs de vinyles à pochette ouvrante.
La chanson du survivant
Et pourtant, le morceau-titre, Still Alive, mérite qu’on s’y arrête. C’est la dernière chanson de l’album, mais aussi une des plus belles. Écrite avec les Américains Bill Bowersock et Matt Vernon, elle se pose dans une mélancolie pop, à mi-chemin entre Supertramp et un Bee Gees en crise existentielle.
Patrick chante comme un homme revenu de tout : “There was a moment in time when you said you’d be mine, till the day everything faded away.” On dirait presque qu’il s’adresse à la musique elle-même, à cette gloire passée qui s’est fait la malle sans prévenir.
Le refrain est une vraie déclaration de résistance : “Still alive, still alive, I know only that love survives.” L’amour survit, même quand la mode vous laissé tomber…
Musicalement, le titre est vraiment réussi. Des cordes planantes, une rythmique douce, la guitare de Lee Ritenour. Et cette voix, qu’on avait parfois sous-estimée chez Juvet, mais qui ici porte une vraie émotion.
Le tout est produit avec le soin d’un album international : Juergen Koppers, le magicien du son des Bee Gees, est à la console, et Thor Baldursson, fidèle collaborateur de Moroder, tisse des nappes de synthé aériennes. Rien n’est laissé au hasard. Ce n’est pas un disque fait pour danser : c’est un disque fait pour flotter.
Une face A sans paroles
Le single Transit, choisi comme second 45 tours après Sounds Like Rock’n’Roll, est une curiosité. Un morceau orchestral, un choix étonnant pour espérer un nouveau succès. Still Alive se retrouve donc en face B, discrète, cachée comme un aveu trop intime.
Et le disque restera orphelin de tube. Sans locomotive, il passe inaperçu.
Et c’est bien dommage, car derrière l’aspect conceptuel un peu flou, Still Alive contient de vrais moments de grâce : des chansons solides, des arrangements somptueux, et une sincérité qu’on n’attendait plus d’un artiste trop souvent réduit à ses paillettes.
Une fin de cycle en douceur
L’échec commercial de Still Alive marque la fin de la collaboration entre Juvet et le tandem Belolo / Morali. Un autre single suivra : Sans amour, version française de Still Alive adaptée par Pierre Grillet. Mais en 1982, leurs chemins se séparent. Patrick retourne à ses claviers et à la mélancolie européenne.
Il ne retrouvera jamais le succès planétaire de I Love America ou Où sont les femmes ?, mais il conservera ce goût des grands écarts : entre la lumière et la nuit, entre le kitsch et la sincérité.
Un album oublié, mais debout
Aujourd’hui, Still Alive est un disque oublié, presque mythique. C’est un album d’artiste, pas un produit. On y entend un homme à la croisée des chemins, cherchant encore la beauté au milieu du naufrage des modes.
Car au fond, Still Alive n’est pas une chanson de survie ; c’est une chanson de renaissance. Une manière de dire que, même quand tout meurt autour, l’amour, la musique, et cette flamme un peu triste qui nous habite tous… restent, quelque part, still alive.
