top of page

E6 dans le Quinzième : Sheila trace sa route, jazz en poche

Dernière mise à jour : 11 avr.



En 1983, Sheila décide de tout reprendre en main. Après plus de vingt ans à suivre les choix de Claude Carrère, elle veut un album en français qui lui ressemble. Fini les reprises imposées et les choix dictés par la mode du moment : cette fois, elle prend le contrôle. Elle crée même son propre label : 83 New Era. Les chansons, les auteurs, les arrangements, même la pochette… tout passe par elle.


Et pour cette pochette, elle ne fait pas les choses à moitié. Paolo Roversi, photographe italien reconnu pour ses portraits flous et baignés de lumière, capture une Sheila méconnaissable, loin de l’image lisse qu’elle avait jusque-là. Un visuel audacieux pour un virage artistique affirmé.


Une nouvelle équipe, un nouveau son


Pour ce changement de cap, Sheila ne va pas chercher du côté des auteurs traditionnels de la variété française. Elle veut du neuf, du moderne. Et c’est à Los Angeles, dans une villa perchée sur les hauteurs de Bel-Air, qu’elle retrouve sa nouvelle équipe (en fait dénichée par Carrère, qui restait producteur) : Gérard Presgurvic, Yves Martin et Philippe Abitbol.


Presgurvic et Martin viennent alors de frapper un grand coup avec Chacun fait (c’qui lui plaît) de Chagrin d'Amour, un titre qui a imposé un son urbain et décalé dans la pop française. Sheila est séduite par cette approche plus libre, plus actuelle.


À l’époque, Presgurvic n’est pas encore le compositeur à succès qu’il deviendra plus tard avec Qui a le droit pour Patrick Bruel ou Roméo et Juliette, la comédie musicale. Il est en pleine expérimentation. De son côté, Sheila est en quête de renouveau. Leur rencontre est une évidence pour elle.


E6 dans le Quinzième : un titre intrigant


Dès le premier regard, ce titre surprend. E6 dans le Quinzième, ce n’est pas un nom de chanson habituel. Une référence codée, presque un message secret.

En réalité, E6 fait référence aux plans de Paris par arrondissement, où chaque quartier est quadrillé par des lettres et des chiffres. Ici, E6, c’est un point de rendez-vous, un lieu de mémoire au cœur du 15ᵉ arrondissement.


Sheila nous embarque alors dans une balade sentimentale à travers Paris, un jeu de piste amoureux qui l’amène rue Vivienne, Madeleine, quai de Grenelle, pont de Bir-Hakeim… Autant de lieux qui deviennent les témoins d’une histoire d’amour fugace, un voyage dans la ville et dans les souvenirs.


Un ovni musical : Sheila en mode jazz


Musicalement, E6 dans le Quinzième est une anomalie dans la discographie de Sheila. Une ballade jazzy, posée, intimiste, qui tranche avec le reste de l’album et avec tout ce qu’elle avait fait avant.


Sa voix, plus grave, plus feutrée, évoque l'univers de la chanteuse Sade. L’influence est évidente, notamment avec ce saxophone sensuel qui rappelle Your Love is King. Sauf que Diamond Life, l’album de Sade, ne sortira que l’année suivante… Sheila et son équipe étaient donc en avance sur la tendance.


Les arrangements d’Yves Martin sont minimalistes, laissant la musique respirer. Un saxophone qui guide, une rythmique élégante et dépouillée, une atmosphère nocturne… Tout est pensé pour cette errance parisienne où les émotions prennent le pas sur les mots.

C’est classe. C’est audacieux. C’est inattendu.


Un album salué, une chanson oubliée


Avec On dit, Sheila réussit son pari. Pour la première fois, la presse spécialisée salue son travail. Des médias comme Libération, Rock & Folk et Télérama lui accordent enfin un regard plus respectueux, loin des clichés sur la "chanteuse populaire".


Musicalement, l’album explore de nouveaux horizons :

  • du tango-reggae avec Tangue au,

  • de la salsa-disco avec Vis Va,

  • des titres épurés et introspectifs comme Je...

Mais si la critique suit, le public, lui, reste plus frileux.


L’album arrive quelques mois seulement après le succès de Glori-Gloria, un tube purement Sheila variété. Le décalage est trop grand, trop soudain. Le public n’a pas le temps de suivre.

Là où France Gall a eu des années d’absence pour préparer son virage avec Michel Berger, Sheila tente une métamorphose radicale.


Seul Tangue au, sorti en single, connaît un certain succès. E6 dans le Quinzième, lui, tombe dans l’oubli dès sa sortie. Pas de clip, pas de promo télé, pas de tournée. Il atterrit en face B du maxi Vis Va, puis du single Jeanie en fin d’année, avant de disparaître complètement.


Sheila, l’artiste qui s’affranchit


Avec le recul, E6 dans le Quinzième est l’un des symboles de cette période où Sheila décide d’être une artiste avant d’être une vedette. Elle suit son instinct, prend des risques, quitte à perdre une partie de son public.

Elle n’est plus seulement "Sheila", elle est aussi Anny Chancel, une femme en quête d’authenticité.


Aujourd’hui encore, On dit reste un album culte pour ceux qui ont pris le temps de l’écouter. Ce n’est pas un best-seller, mais c’est un disque qui a marqué.


Et parmi toutes les chansons tombées dans l’oubli, E6 dans le Quinzième reste un petit bijou caché. Une de ces perles que l’on découvre presque par hasard et qui, une fois écoutée, ne nous lâche plus.

Moi, en tout cas, je ne m’en lasse pas.







1 Comment


Carpentier Guillaume
Carpentier Guillaume
il y a 2 jours

Sheila a inspiré l'invention du GPS. Toujours avant-gardiste.

Like
bottom of page