Cent fois — Véronique Sanson, la répétition du cœur
- L'Agent Secret des Chansons
- 7 mai
- 3 min de lecture

Je pourrais l’écouter cent fois. Mille, même. Cette chanson, Cent fois, c’est ma préférée de Véronique Sanson, dans un album que je trouve tout simplement exceptionnel : Le Maudit. C’est aussi une chanson qui ne fait pas de manières. Elle entre sans frapper, avec ses quatre vers en boucle. Elle dit peu, mais elle dit tout. Et quand elle commence, je suis ailleurs. Là où elle est, là où elle était en 1974.
Alors voilà, allons-y. On rembobine.
1974, le maudit bonheur
Véronique Sanson n’a pas trente ans quand elle enregistre Cent fois. Elle est enceinte, au Colorado, dans un ranch au milieu de nulle part avec Stephen Stills, son mari – un musicien immense, et un ouragan d’ego au passage. Ils s’aiment, ils s’affrontent, ils se cherchent. Elle écrit. Elle compose. Elle accouche de leur fils, Christopher. Et d’un album : Le Maudit.
Mais elle traîne encore les ombres d’un autre amour, celui de Michel Berger. Et puis il y a cette chose étrange et magnifique qui se passe quand on devient mère : le cœur se dilate, mais il devient aussi plus vulnérable.
C’est dans ce contexte qu’elle enregistre début 1974 deux titres : Un peu plus de noir et Cent fois. Ce dernier est choisi pour figurer en face B du single Amoureuse version anglaise (après le succès outre-Manche de Kiki Dee avec ce titre), la maison de disques en France ayant besoin d'actualités après plus d'une année de silence. Cent Fois sera ensuite enrichi d’un somptueux habillage de cordes pour intégrer son troisième album studio qui sortira à la rentrée : Le Maudit. Un disque qu’elle réalise quasiment seule, entourée d’un casting de musiciens de rêve – son ami Alain Salvati, mais aussi des pointures rameutées par Stephen Stills : Harvey Mason, Kenny Passarelli, Donnie Dacus, Joe Lala… – qui l’ont d’abord vue comme “la femme de”, avant de tomber sous le charme de son talent sidérant.
Une Française en Californie
On aurait pu croire que partir vivre aux États-Unis allait couper Sanson de ses racines, la transformer en clone folk à frange et boots en daim. Mais c’est l’inverse qui se produit. Là-bas, elle prend le meilleur : les studios grand luxe, les musiciens géniaux, l’énergie du rock. Et elle y greffe sa voix, sa pudeur, son piano, son spleen bien français.
Le disque est enregistré aux studios A&M de Los Angeles. Aux manettes, rien de moins que Jimmy Guercio (producteur de Chicago) et Jimmie Haskell, arrangeur mythique, qu’elle a choisi parce qu’il avait signé les cordes de Ode to Billy Joe. Elle l’imagine bohème, le rencontre, … c’est un vieux monsieur à la coupe militaire. Mais l’alchimie fonctionne. Il respecte ses idées, il les sublime. Il aime son travail.
Une ritournelle en apesanteur
Cent fois est une chanson de rien, pourrait-on croire au premier abord. Un même couplet répété trois fois, des paroles quasi identiques :
Cent fois
Quand je me demande ce qui me pousse à revenir / ce qui peut bien me retenir
Je me dis qu’en vérité
Je sais bien que je l’aime
Et voilà. Tout est là. Quatre lignes. Trois fois. Elle nous parle d’un attachement profond, désarmant. De cet amour pour deux hommes, pour deux mondes, et d’un questionnement permanent : revenir ou rester ? C’est dit sans emphase, sans démonstration.
Il n’y a pas de faux-semblants. Juste une femme qui, cent fois, doute. Et cent fois, se repose la question.
Elle la chantera sur scène régulièrement jusqu’en 1979, puis plus du tout, l’abandonnant à son époque…
Un album en miroir
Dans Le Maudit, il y a d'autres titres qui feraient pâlir bien des discographies entières : Un peu plus de noir, Ma musique s’en va, On m’attend là-bas, L’Étoile rouge… Douze chansons comme douze éclats d’une même vérité.
Un disque de contrition, comme elle le dira elle-même. De remords. Un album pour Michel Berger, alors même qu’elle vit avec Stephen Stills. Et la musique, elle, sert de pont. D’exutoire. D’espace de vérité.
C’est ça, le cœur de Cent fois. Ce tiraillement. Ce balancier entre deux hommes, deux vies, deux continents.
Alors oui, cent fois merci
Je ne peux pas dire combien de fois j’ai écouté cette chanson. Elle m’émeut toujours autant. Elle ne me lasse jamais. Et je sais que je ne suis pas le seul.
Merci d’avoir su dire, avec des mots simples et une voix nue, ce que tant de gens vivent dans le silence. L’amour qui persiste. Malgré tout, en dépit de tout.

Merci à Harmonies Véronique Sanson pour les documents et les précieux conseils.
Photo : @Bernard Leloup
O
Anecdote (idiote ?): Quand "cent fois" est sorti, mon amie Maryvonne (en plein cours) m'a susurré, toute excitée: "Véronique a écrit une chanson pour toi!!!". Elle avait un poste de radio tellement pourri qu'elle avait compris "François" au lieu de "Cent fois" ! Voilà, voilà...