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Ballade pour une fugue : Sylvie Vartan claque la porte avec panache (et revient avant le petit-déj)


1969. Sylvie Vartan n’a pas sorti d’album cette année-là. Après le carton de La Maritza fin 1968, elle enchaîne les 45 tours, les plateaux télé et les tournées. Côté tubes, c’est un peu plus calme, mais Sylvie reste une star. Et c’est justement dans ce moment un peu en creux qu’elle glisse l’une de ses plus jolies pépites : Ballade pour une fugue. Une face B. Mais pas n’importe laquelle : un bijou mélancolique emballé dans une orchestration somptueuse de Jean-Claude Vannier, qui s’apprête à devenir l’homme qui murmurait à l’oreille de Gainsbourg.


Fuir… puis revenir


La chanson s’ouvre sur un éclat : « Je claque la porte, c’est fini… ». Le ton est donné. Mais au lieu de hurler ou de casser la vaisselle, Sylvie prend la tangente en musique. Elle s’adresse à son homme, qu’on devine musicien, et lui balance avec détachement : « Fais-en donc un refrain ».


Ballade pour une fugue, c’est l’art de la rupture avec panache. Elle part, elle prend le taxi, elle file à Orly, elle monte dans un avion imaginaire, elle est prête à tout larguer…

Et puis au matin, le diable l’emporte (c’est-à-dire l’amour ou un petit moment de faiblesse), et elle revient. Une chanson courte mais pleine de cinéma, qui raconte en trois minutes ce que certains mettent une trilogie à filmer.


Le titre, signé Jean-Jacques Debout et Roger Dumas, se veut autobiographique. Dumas a expliqué qu’il a écrit la chanson après une soirée où Sylvie lui avait confié avoir quitté Johnny durant trois jours. Dumas lui dit : “trois jours, c’est une ballade pour une fugue”. Voilà comment un coup de blues conjugal devient une chanson universelle, capable de parler à tout un chacun.

 

Jean-Claude Vannier au sommet de son art


Jean-Claude Vannier signe les arrangements. Lorsqu’on sait que la même année, il a travaillé sur Tous les bateaux, tous les oiseaux pour Polnareff ou le sombre Que je t’aime avec Johnny, on comprend la dimension dramatique qu'il apporte ici. Une section de cordes subtile, une rythmique discrète… le décor est posé sans jamais écraser Sylvie. On a l’impression d’entendre l’orchestre d’une musique de film : on voit la silhouette de Sylvie partir la nuit, les rues désertes, décidée à tout quitter – et revenir au petit matin (parce qu’il n’y a pas d’avion à Orly la nuit).


Un mini-film, un Brialy, du style


La chanson bénéficie même d’une mise en scène dans l’émission Brialy's Folies, tournée avec Jean-Claude Brialy dans un taxi, qui donne à l’ensemble un parfum de série télé chic. Légèreté, sourire discret, second degré soigné. Ici tout est posé, un brin ironique, très années 60. Et Sylvie ? Impeccable, évidemment. Elle est là sans trop en faire, ce qui est sans doute le secret du vrai charisme.

Le reste du disque : entre rock, fanfare et Chinois vert


Le 45 tours contient trois autres titres qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, mais qui donnent à Sylvie l’occasion de montrer toute l’étendue de son jeu. Deux d’entre eux sont aussi arrangés par Vannier. La classe.


C’est un jour à rester couché

Un rock nerveux de Micky Jones (futur Foreigner) et Tommy Brown, comme un café mal dosé. Sylvie y balance des Hey ! la la la ! avec l’énergie d’une ado en baskets. Adaptée par Franck Gérald, c’est une chanson sur l’art de ne rien faire – et de le faire à fond. Clappements de mains, pauses surprises, redémarrages, Sylvie s’éclate. Nous aussi.


Mon Chinois vert

L’ovni du lot. Sylvie elle-même a avoué qu’elle ne l’aimait pas trop… et on comprend pourquoi. Le texte est étrange : le fameux Chinois vert est un personnage imaginaire, né d’une vieille phrase du grand-père de Jean Renard, qui le surnommait ainsi quand il jouait de l’harmonica. Le tout donne une chanson gentiment absurde, un peu surréaliste, un peu malaisante. Mais bon, ça fait aussi le charme du disque.


Le Roi David 

Succès du 45T. Seconde chanson dédiée au fils de Sylvie, David Hallyday (après Ballade pour un sourire). Paroles répétées, instrumentations crescendo et la Garde Républicaine en fond. Jean Renard détaille : « J’ai fait venir la Garde, les tambours de l’Empereur, des joueurs de rigodon… » Un cadeau sonore à son fils, suffisamment extravagant pour rester inoubliable.

 

Une année sans album, mais pas sans audace


Pas d’album studio en 1969 pour Sylvie, mais pas question de rester inactive. Elle multiplie les projets, bosse avec les meilleurs du moment, teste des styles, change de ton. C’est une année patchwork, avec des chansons singulières, un peu à part. Et Ballade pour une fugue en est l’exemple parfait.


Ballade pour une fugue, c’est de la variété élégante, ciselée, sensible. Sylvie joue son texte avec légèreté et assurance. Elle se met en retrait et confie sa voix au service de l’orchestration. Le résultat ? Un petit bijou, intime et universel. Et qui figure parmi mes titres préférés, comme pour de nombreux fans et pour la revue Schnock.


Et après ?


Aucun de ces quatre titres ne se retrouvera sur un album studio à l’époque. Ballade pour une fugue, en particulier, n’a été que très rarement chantée sur scène. Aucun enregistrement live connu. Et pourtant, elle mérite sa place dans les trésors cachés de la chanson française. Un petit miracle pop, un moment suspendu où l’artiste se met à nu sans se dévoiler entièrement.

Si vous ne la connaissez pas, arrêtez tout et écoutez Ballade pour une fugue. Si vous la connaissez, réécoutez-la. Et surtout, n’oubliez pas d’applaudir le casting : Vannier à l’orchestre avant Melody Nelson, Debout à la composition, Dumas à la plume, Renard en producteur généreux, et Sylvie, impériale et libre. Un coup de porte, une fugue, et une ballade inoubliable.


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