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Abracadabra ou le jour où Sylvie Vartan est devenue ma bonne fée (et un peu ma sorcière aussi)



On a tous une première fois. La mienne avec Sylvie Vartan s’appelle Abracadabra.

Un 45 tours glissé entre deux cadeaux de Noël, avec cette photo de concert intense, signée Benjamin Auger. Je tenais donc entre les mains cet EP sorti fin 1969, contenant quatre chansons comme quatre portes vers un monde étrange, entre comédie musicale, féminisme acidulé et tendresse piquante.


Et puis, surtout, il y avait cette chanson-là : Abracadabra. Un mot d’enfant, une incantation de cartoon, un titre qui sent bon la baguette magique. Et pourtant, derrière cette formule, se cachait un concentré de révolte, de vengeance poétique, de cœur piétiné qui se relève.


Une femme, un château et un prince charmant… à jeter


Abracadabra, c’est d’abord une histoire de femme… fâchée. Rejetée, ignorée, par un amant passablement médiocre, et qui décide de faire appel aux sortilèges. Pas pour le reconquérir, non. Pour se venger. On y croise des châteaux, des reines, un prince charmant pas si charmant. On y entend surtout une Sylvie malheureuse mais combative, qui a troqué la robe de Cendrillon pour la tunique d’une magicienne bien décidée à reprendre le contrôle de son conte.


Le texte, c’est Gilles Thibaut qui l’a concocté — ce poète du mal d’amour, qui faisait de Sylvie une femme toujours un peu triste, toujours un peu forte. Et cette fois, il lui offre un rôle sur mesure : la princesse jetée devient sorcière. Et c’est jubilatoire. Parce que la magie, ici, ce n’est pas de faire revenir l’amour. C’est d’apprendre à s’en passer.


Une chanson venue d’Italie, avant Lady Gaga


Ce que peu savent, c’est que cette chanson a d’abord existé pour Sylvie en italien, écrite par un trio de compositeurs transalpins (Paolo Dossena, Lucarelli et Righini). Dans cette première version, on devine déjà la fée et Cendrillon, mais tout ça reste un peu flou. C’est Thibaut qui, en français, va mettre le paquet côté imagerie féerique. Il transforme la chanson en sortilège pop, en mini-série magique.


Et entre nous, si en 2025 Lady Gaga sort un Abracadabra, Sylvie, en 1969 déjà, mixait glamour et étrangeté, contes et réalité.


Avec Jean Renard à la baguette, l’orchestration est explosive, avec trompettes et cuivres pleins de panache. C’est à la fois pop, dramatique et ironique. Et ça claque comme un coup de baguette sur les fesses du prince indigne.



L’EP des métamorphoses


Le 45 tours Abracadabra n’est pas qu’un sort jeté sur la platine. C’est aussi comme un mini-album de transformations.


On y trouve en Face B Apprends-moi, autre texte de Thibaut, qui voit une Sylvie sensuelle, presque murmureuse, se livrer dans un désir doux et fiévreux. “Apprends-moi à être à toi”, dit-elle. Le duo Thibaut/Renard fait ici des merveilles dans la suggestion et la pudeur brûlante.


Puis, il y a Si j’étais général, pépite légère mais pas si innocente. Un petit délire écrit pour le Sacha-Sylvie Show de décembre 1969, dans lequel Vartan se rêve en militaire espiègle, distribuant des corvées à son “soldat-chéri”. C’est drôle, un brin féministe, très Carpentier dans l’esprit.


Et enfin il y a Les Hommes (qui n’ont plus rien à perdre). Attention, pépite ! Ce titre-là, ce n’est pas un duo… officiellement. Mais c’est bien Johnny Hallyday qui ouvre et clôt la chanson, dans une sorte de dialogue voilé avec Sylvie, qui elle, assure le chant principal. Un morceau fort, grave, aux accents de fin de film, qui fit un carton au Japon. Et une manière détournée d’immortaliser le couple sur vinyle, sans trop l’annoncer. Car sur le disque, rien ne mentionne Johnny.


1969, l’année italienne de Sylvie


Ce disque, comme l'album qui suivit, ne fut pas parmi ses plus grands succès en France. 1969, pour Sylvie Vartan, c’est une année en or massif surtout en Italie, où elle cartonne comme une star nationale. Zum Zum Zum, Irresistibilmente, Come un ragazzo… tout est succès.


Elle enregistre, elle chante, elle multiplie les apparitions à la télé italienne. Et parmi ses prestations, le 29 novembre, elle offre au public transalpin la première version d’Abracadabra, en italien. Elle laisse là-bas une empreinte de diva pop entre modernité et enchantement.


Et à côté d’elle, en Italie toujours, un certain Johnny explose avec la version locale de Que je t’aime. La France, cette année-là, a vraiment conquis la Botte à coups de refrains mémorables.


En conclusion : une baguette, une voix, et beaucoup de cœur


Mais tout cela, je l’ai appris plus tard. Ce que je savais, enfant, c’est que cette chanson me fascinait. Abracadabra, c’était un mot que je connaissais, mais que je n’avais jamais entendu chanter comme ça. C’était drôle, un peu flippant, magique, très sérieux et très léger en même temps.

Alors merci Sylvie d’avoir chanté la colère avec des étoiles dans les yeux. Et d’avoir fait d’un simple mot d’enfant — abracadabra — un titre pop qui résonne encore, plus de cinquante ans après.




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