Shame – Evelyn “Champagne” King : la honte la plus dansante de la fin des seventies
- L'Agent Secret des Chansons

- 8 août
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 oct.

Il y a des chansons qui se présentent comme des preuves irréfutables que la pop peut transformer n’importe quel coup de blues en fête collective. Shame est de celles‑là : un tube imparable, signé par une adolescente de Philadelphie, qui a mis la disco à genoux sans perdre une once de dignité — ni de groove.
Le conte de fées qui commence... aux toilettes
L’histoire d’Evelyn King ressemble à un scénario écrit par un scénariste un peu paresseux, mais ô combien efficace : fille d’une famille de musiciens, élevée entre Bronx et Philadelphie, Evelyn se retrouve à 16 ans à donner un coup de main à sa mère, femme de ménage dans les studios Sigma Sound. En chantant A Change Is Gonna Come dans les toilettes des studios — elle se fait remarquer par Theodore T. Life, producteur et arrangeur. Résultat : contrat, nom de scène étudié (de « Bubbles » son surnom depuis toute petite, à Champagne, parce que plus chic), et la promesse d’un avenir radieux.
Theodore Life la produit et la présente à l’équipe de RCA dirigée par Warren Schatz. Pour le premier single, on choisit une chanson écrite par John H. Fitch Jr. et Reuben Cross, et l’on met au centre de la rythmique un tout jeune groupe repéré grâce à Bunny Sigler : Instant Funk. Le cocktail est posé. Il ne manque plus que la flamme.
Une intro de sax qui coupe l’air — et le souffle
Dès l’introduction, Shame montre qu’elle n’a pas l’intention de faire comme les autres. Sam Peake pose une ligne de saxophone devenue instantanément reconnaissable. Derrière, Raymond Earl (Instant Funk) aligne une basse si profonde qu’on la sent plus qu’on ne l’entend — et Scotty Miller tient la batterie avec une élégance sèche. La guitare, le piano : tout participe à une implacable mécanique de séduction.
Ce qui frappe, c’est que ce n’est pas du disco « formaté ». Plutôt qu’un quatre‑quatre martelé du pied, le morceau joue avec un rythme plus « battement de cœur », une pulsation presque rock qui donne à la piste une tension rare. Le minimalisme orchestral — pas d’énormes cordes ici — rend le morceau plus humain. Evelyn chante ses « shame » avec une assurance étonnante pour son âge : on y croit, on y danse.
La version qui a tout changé
Comme souvent à l’époque, le mix fait la moitié du job. Les DJ new‑yorkais Al Garrison et David Todd prennent le titre, allongent, rééquilibrent, gonflent la basse et la batterie, et transforment la chanson en une bête de piste de plus de six minutes. Cette version 12″ devient tellement populaire dans les clubs qu’elle remplace la version album sur les rééditions vinyle : l’ère du remix est officiellement déclarée.
C’est la preuve — s’il en fallait une — que parfois un morceau a besoin d’un costume de scène pour révéler sa vraie puissance. Et le costume, pour Shame, était taillé sur mesure.
Succès international… sauf en France
Sur le plan commercial, Shame fait la démonstration de sa force : top 10 aux États‑Unis, performances solides sur les charts disco et R&B, certifications et entrée durable dans la mémoire des dancefloors. En Europe, le titre s’infiltre aussi — Belgique, Pays‑Bas, Royaume‑Uni — mais, curieusement, il reste discret en France.
C’est exactement pour ce genre d’écarts que ce blog existe : des pépites qui ont fait danser le monde mais sont passées sous les radars hexagonaux (même si depuis le titre s'est rattrapé).
La gamine devenue voix de la nuit
Evelyn avait 17 ans lorsqu’elle enregistre Shame. Malgré la jeunesse, sa famille la protège, la gère et l’accompagne. Après le succès, la carrière suit : l’album Smooth Talk d’abord, puis d’autres singles, et surtout une évolution musicale qui la mènera quelques années plus tard à travailler avec Kashif et au couronnement boogie‑funk de Love Come Down. Mais pour beaucoup, c’est Shame qui reste la carte d’identité sonore d’Evelyn King.
Pourquoi Shame tient encore ?
Parce que le morceau combine trois éléments presque parfaits : une voix qui n’a pas peur, une rythmique qui surprend, et un refrain qui s’imprime instantanément. Il a traversé la mode disco sans se perdre dans des gimmicks orchestraux et a été aimé par les DJ capables de comprendre qu’un remix peut révéler un chef‑d’œuvre. Et il raconte, en quelques phrases, une histoire universelle — l’amour qui brûle, la mère inquiète, l’insolence sensuelle — le tout emballé par un « shame » qui sonne plus comme un verdict que comme un remords.
Conclusion : une honte délicieusement contagieuse
Shame est l’exemple parfait d’un miracle pop qui, mine de rien, a changé l’ambiance des dancefloors. Si l’agent secret des chansons devait mener une enquête en boîte, le dossier Shame serait classé « affaire résolue ». On ressort le vinyle, on lance le 12″, on regarde la piste se remplir, et l’on sourit : la honte n’a rarement été aussi réjouissante.



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