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« Je suis libre » de Sylvie Vartan : le cri pop d’une ado pas si sage.



1961 : 1er disque solo.

Avant d’être une vedette, avant Johnny et les shows millimétrés, il y avait une adolescente de 17 ans qui lançait au monde un manifeste de liberté sur fond de rock. Une voix juvénile mais décidée, un air emprunté à une Américaine en fleur, et une promesse : Je suis libre.


Nous sommes en 1961. Le twist commence à secouer les hanches des lycéens, Salut les copains arrose les ondes de rock'n'roll, et une jeune Bulgare installée à Clichy-sous-Bois débarque en studio pour enregistrer son tout premier 45 tours en solo.


C’est ce disque, pressé chez RCA, qui contient Je suis libre, adaptation en français de Just a little de Brenda Lee. Mais avant d’en arriver là, petit retour sur les origines de ce météore nommé Sylvie.


Du Grand Balkan aux platines RCA


Née en 1944 à Iskretz, en Bulgarie, Sylvie Vartan grandit dans une famille férue de musique : son père, son grand-père et surtout son frère Eddie baignent dans les gammes et les harmonies. La musique classique, le jazz, et plus tard le rock, sont des langues familiales. La petite Sylvie, solitaire mais observatrice, se rêve comédienne et joue même un petit rôle dans un film bulgare avant que la famille n’émigre subitement pour Paris au début des années 50. Là, c’est le choc. Nouveau pays, nouvelle langue, nouvelle vie. Mais le piano du salon – acheté avant la table à manger – reste un refuge sonore.


Le frère Eddie, devenu trompettiste puis directeur artistique, s’incruste dans le milieu du disque. En 1961, alors qu’il travaille avec Frankie Jordan, un duo est prévu avec la chanteuse Gillian Hills. Coup de théâtre : Hills se désiste. Eddie appelle sa sœur. Sylvie entre en studio et enregistre Panne d’essence, une chanson espiègle qui cartonne. Le téléphone sonne, la presse s’affole, la lycéenne du très strict Hélène-Boucher doit quitter les bancs de l’école. Le showbiz l’attend.


1961 : le premier 45 tours solo


Forte du succès de Panne d’essence, RCA lui fait enregistrer un premier EP (la formule magique de l’époque : 4 titres, une pochette, une promesse). Le titre phare ? Quand le film est triste, adaptation française de Sad movies de Sue Thompson. Une histoire douce-amère de chagrin adolescent au cinéma, écrite pour elle par Georges Aber et Lucien Morisse.


À côté de ce slow langoureux, une autre perle se glisse discrètement sur le disque : Je suis libre. Pas un tube, mais un morceau qui, rétrospectivement, mérite une place de choix dans l’histoire du yéyé féminin.


“Je suis libre” : la liberté, version 45 tours


À l’origine, Just a little est une chanson de Brenda Lee sortie en 1960. Brenda, petite bombe vocale d’Atlanta, n’avait que 15 ans quand elle chantait ses peines de cœur. La version française, confiée à Jacques Plante (le même qui signa ses plus beaux textes pour Édith Piaf et Charles Aznavour), change totalement de ton. Ici, pas de supplication amoureuse. Sylvie ne mendie rien. Elle affirme.

« Je suis libre / libre de t’aimer / Je suis libre à ma fantaisie / Je suis libre… hum ! de vivre ma vie »


À l’écoute, on est frappé par l’ambiguïté joyeuse du propos. D’un côté, un cri d’émancipation presque féministe – inédit pour l’époque. De l’autre, une promesse d’abnégation toute en contradiction :

« Le mariage ne me fait pas peur / Je serai la servante de mon maître et seigneur »


Libre, mais soumise ? Rebelle, mais docile ? On oscille entre revendication et résignation. Mais n’oublions pas : la chanson a été écrite par un homme, on est en 1961. L’avortement est illégal, les femmes doivent avoir l’autorisation de leur mari pour travailler, et Sylvie n’a pas encore son bac. Pour une fille de 17 ans, ce simple « Je suis libre » lancé sur un disque grand public, c’est déjà un acte de bravoure.



Un EP à quatre visages


Outre Quand le film est triste et Je suis libre, ce premier 45 tours RCA contient aussi Tout au long du calendrier – version endiablée du Calendar Girl de Neil Sedaka – et Le petit lascar, adaptation par Daniel Filipacchi d’un titre de Lavern Baker. Le disque est un condensé de pop américaine à la française, avec des arrangements signés Eddie Vartan, le grand frère bienveillant et déjà maître du son. On y trouve un équilibre entre fraîcheur adolescente et énergie rock.


En scène : le feu dans les jambes


Dès l’hiver 61, Sylvie enchaîne les télés, notamment Le musée fantastique et L’avenir est à nous. Sur scène, elle joue les premières parties de Vince Taylor, puis en 1962, elle tourne dans toute la France. Sa réputation grandit. Elle est l’une des rares filles dans un monde encore très masculin, où les Johnny, Richard Anthony et autres Chaussettes Noires trustent les hits. Mais Sylvie impose son style : chemisier, jupe sage et attitude rock.


La suite ? On la connaît


Les années passent. Sylvie devient l’une des figures majeures de la chanson française et ouvre la voie à Françoise Hardy et Sheila, entre autres. Mais Je suis libre reste un témoignage de ses débuts, de son audace, de son passage de l’ombre à la lumière. Derrière cette chanson un peu naïve se cache déjà tout ce qui fera son charme : l’élégance, la fougue, et ce brin de contradiction qui la rend profondément humaine.


Alors, réécoutez-la. Et souvenez-vous que derrière chaque voix de l’époque, il y a une histoire, un combat, et parfois… un cri de liberté.



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